dimanche 30 septembre 2007

Le trémolo des cailleraderies

15 novembre 2005

D'ici peu, je reviendrai dans ce blog à un autre sujet qui me préoccupe ce jours-ci : le copyright et les droits d'auteur. J'aiguise mes flèches (enfin, les armes de mon nom de famille) pour pouvoir donner des exemples de plagiat qui me révoltent... (à suivre).

En attendant, une note pour ajouter au trémolo des réactions sur la météo de ce que j'appelerais les cailleraderies à la Sarkozy et la République toujours en mal d'assimilation...

Dans son article pour les « Rebonds » de Libé du 10 novembre dernier (« Défauts d'intégration »), Esther Benbassa écrit ceci :

« Aux Etats-Unis, pays dont nous critiquons le multiculturalisme, la communauté d' "originaires" inclut l'étranger et le prépare progressivement à l'américanisation. Ici, curieusement, le mot "communautarisme" n'existe pas et pourtant les communautés, elles, existent. Dans ce pays, on se dira américain et musulman, américain et noir. Ce "et" essentiel à la citoyenneté est officiellement banni chez nous, alors qu'il est désormais incontournable et que les pouvoirs publics auraient intérêt à le prendre en compte. »

Son article m'a fait penser aux réflexions plus approfondies de la regrettée Naomi Schor qui, dans un essai qui mérite re-lecture, « The Crisis of French Universalism » (Yale French Studies 100 (2001): 43-64, disponible dans les bibliothèques ou via J-Stor), on peut lire :

« One thing is certain: the pressure to assimilate in France is such that identity politics cannot thrive there; there is a logical and insuperable incompatibility between promoting assimilation and encouraging identitarian micro-communities based on gender, race, and sexual orientation, what we in the United States have taken to lumping under the term multiculturalism. Viewed from the French perspective, multiculturalism is nothing short of a cultural disaster, threatening the polity with fragmentation, and the nation with dissolution. »


Vus de la France (comme du Japon et ailleurs), les États-Unis seraient un pays de barbares mal-assimilés, trop métissés, des populations fragmentées, « communautaires ». C'est justement ce multiculturalisme qui manque dans les discours actuels des politiciens français.

Benbassa dit qu'en France, « quand on nomme un ministre "issu de l'immigration", il est là, en gros, pour s'occuper des siens... ». Ça m'a fait penser à la photo parue à la page 3 du Monde du 8 novembre : Dominique de Villepin avec la main sur la tête d'Azouz Begag comme pour maîtriser le « Beur alibi », qui avait osé dire au Ministre de l'Intérieur de mieux choisir ses mots... Déchiré entre ses fonctions auprès du gouvernement actuel et le besoin de dire que l'on n'a pas le droit de traiter les citoyens de la République de racaille, Begag ne se fait pas entendre en demandant à ce que la France « assume sa diversité ». Effectivement, ça doit être difficile à assumer des fonctions de ministre délégué « de la promotion de l'égalité des chances » (ministre bidon, c'est-à-dire sans administration ou budget, à un poste « politiquement correct » dans le pays où le président s'affirme, le 14 novembre, contre la « discrimination positive »).

Curieusement, le dernier voyage de Begag aux États-Unis nous rappelle que ce n'est pas forcément plus facile pour lui de se faire entendre au pays de l'Oncle Sam. Il voyageait vers la Floride pour une invitation comme conférencier, de façon aussi banale que lors d'autres invitations (comme il l'a fait chez nous à CUNY en 1998) quand il s'est fait arrêter par un agent des douanes à Atlanta le 13 octobre dernier, pour un « délit de faciès »... Voir, à ce sujet, l'article de Malek Chebel, « L'autre n'a pas de visage » paru dans La culture française vue d'ici et d'ailleurs, le recueil d'essais que j'ai dirigé (publié en 2002 et toujours disponible chez Karthala). Ce n'est pas pour rien que j'ai rassemblé ce recueil de voix où des exilés de la France et des immigrants en France racontent leur amour-haine pour un pays (et une culture) où leurs identités multiples n'ont pas de place.

Il nous reste des choses à apprendre de nos sociétés encore si différentes : Benbassa a raison de souligner les identités étatsuniennes multiples. Si en France on est arabe « ou » français, aux E-U, on est facilement African-American, Judeo-American, Irish-American et cetera... Dans ma note précédente sur la « Diversité culturelle », je renvoie aux organisations telles CAPDIV qui parlent autrement que les Sarkozy qui, ceux-ci, préfèrent traiter tous ces jeunes d' « étrangers ». Avec d'autres, Benbassa nous prépare les « Pari(s) de vivre ensemble » en mars prochain, leur pari étant de « [mettre] en valeur la diversité culturelle de la capitale, de [promouvoir le] dialogue entre populations d'origines diverses et de [lutter] contre toutes les formes de discrimination ». Du pain sur la planche.

Samedi dernier, j'ai pu assister brièvement à une partie de la conférence « Laïcité / Secularism, 1905/2005 » à l'université Columbia ici à New York. L'anniversaire de la loi de 1905 était l'occasion pour une interrogation approfondie sur la place des cultes dans une société dite laïque (une question du public : combien de journées fériées dans les écoles en France pour des fêtes juives ou musulmanes, par rapport aux fêtes chrétiennes ?). Y a-t-il une menace réelle à la Marianne catho ? Que l'on donne moins de place dans les médias actuelles aux réponses des Le Pen et de Villiers... Par réactionnaire, on implique un retour au passé, contre le progrès social : on n'a qu'à donner plutôt un meilleur portrait de la France multiculturelle : que l'on créolise la Marianne pour mieux représenter le pays dont elle est supposée être le symbole.

Explorez les chats en ligne, les forums très populaires genre Skyrock.com où trois auteurs de blogs ont été arrêtés la semaine dernière. Âgés entre 14 et 18 ans, ces trois garçons auraient cliqué OK ou ENTER pour balancer des paroles genre « Nike la France », « Nique l'État », « Sarkodead » et « Hardcore » (n'ayant pas vu le casier judiciaire, je n'ai vu offertes pourtant que des « preuves » aussi banalement adolescentes. Voir l'article « Trois bloggeurs arrêtés » dans le numéro de Libé du 8 novembre 2005). Je trouve effrayant le filtrage des blogs et des SMS à des fins policières. Où est la liberté d'expression ? Quelles en sont les limites ? (par exemple, sur le copyright, sujet sur lequel je promets de revenir). C'était par un commentaire au blog « Paris is (really) burning » que j'ai appris que l'on avait filmé des policiers en action en banlieue, avec quel portrait des forces de l'ordre !... Vive le pouvoir des caméscopes et des blogs ; vive la liberté de la parole !

Dans un article paru dans The Nation du 21 novembre (« All the King's Media »), William Greider fait une comparaison intéressante entre les médias du temps de George W. Bush et celles de l'époque de Louis XV. « La démocratie, dit-il, commence non pas au moment des élections, mais dans la conversation humaine ». Heureusement, nous ne sommes plus à l'époque de la censure des rois, mais les atteintes à la liberté d'expression sont de plus en plus fréquentes et, avec elles, nous avons une presse de plus en plus veule, commerciale et compromise. Ce n'est pas pour rien que l'on se tourne vers les forums on line et les blogs. Les actualités françaises font réfléchir les Étatsuniens sur les retombées du « Patriot Act », la législation passée en toute urgence il y a 4 ans, peu après le 11 septembre 2001, qui permet une surveillance secrète des appels téléphoniques, des achats de livres, des blogs et même les sites web visités ou des mots recherchés par Google...

Certes, que l'on arrête de brûler – des voitures, des écoles, des centres de sport... Quelle personne veut se dire contre une société civile et civilisée ? Ayant vu ce ministre de l'Intérieur français fat et ambitieux sur TV5 cette semaine, je comprends bien les frustrations des jeunes dont les revendications sont ignorées : les seules réponses étant policières, on voit bien qu'il y a une conversation qui reste à développer pour que la France s'accepte un jour comme une société multiculturelle, pour que l'on examine les discriminations réelles des personnes qui ne sont ni immigrées ni « issues de l'immigration » mais tout simplement françaises. Il faut appeler un chat un chat, parler du racisme dont la France n'a malheureusement pas de place unique sur notre planète.

TCS

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