dimanche 30 septembre 2007

Fumées crucifiées (pour Ken Bugul)

14 avril 2006

Crucifions... le Tabac... Tabernacle !

Vendredi « saint » – le « bon » vendredi en anglais ("Good Friday") – pour crucifier le roi des Juifs. Curieusement je retrouve aujourd'hui un courriel de Dominique Batraville (« Chaque séraphin a quelque part un foulard de femme. Juste pour contourner le soleil de la mort. Tu vois ? ») auquel je réponds ; le sujet est « Thomas du Vendredi Saint »...

Une journée fériée offre une minute pour quelques réflexions littéraires ? du moins enfumées, au nom du Saint Thomas, celui qui doute.

L'exception française est toujours d'actualité. Au journal télévisé de 20 heures de France2, mercredi le 12 avril, on apprend que, « une fois de plus, le gouvernement ne sait plus où il va ». Bref, dans les propositions de la semaine, il s'agit de créer des cabines fumeurs tout en interdisant la consommation de tabac dans les lieux publics en France. On voit un député dans les coulisses de l'Assemblée, enfin, au palais Bourbon, M. André Santini (UDF). Cigare allumé à la main, le député se moque du « brillant succès » du gouvernement avec son CPE ; continuant avec le même ton ironique, il renchérit sur la proposition de loi interdisant de fumer : « On peut plus boire, on peut plus manger, on peut plus fumer, on peut plus baiser, formidable ! ».

[ Ce vendredi saint, je rappelle le fait que de telles paroles ne passeraient jamais sur le petit écran au pays puritain des USA. ]
Sur la question du tabac, rien ne sera décidé en France dans un proche avenir. Pour une fois, le gouvernement va consulter et dialoguer avant de lutter davantage contre le tabagisme passif. « Il est urgent d'attendre ». Voilà pour les actualités françaises : grèves, mécontentement, ras le bol général, plus ça change... Quelques exemples de l'exception française.

La France traverse une petite crise d'identité. Un Chirac qui touche à son terme. Pour le remplacer en 2007, est-ce que cela va être un Sarko à la Giuliani, tolérance-zéro (voir le nouveau documentaire, Giuliani Time), ou plutôt une femme qui fait en ce moment une tournée « Listening Tour » à la Hillary, Désirs d'avenir ? Mère de famille, ça peut toujours servir au vote catho me fait penser le vendredi sein. (La dame candidate pour la Maison blanche en 2008 s'est déjà ramassé une impressionnante "war chest", ce qui veut dire un gros trésor de fric pour sa candidature, ce qui se traduit également en anglais comme une « poitrine de guerre/ière »).

Défense de fumer ? Que penser de ces interdictions ? (La phrase préférée de Nancy Reagan, n'est-ce pas, était "Just say No!") N'étaient-ce pas le café, le chocolat, le tabac qui faisaient le but(in) de la conquête des colonies ? La Virginie ? Le Kentucky ? Los Ricos Habaneros ? Les nouvelles pubs anti-tabacs sont parfois assez fortes ; dans un bel exemple on voit un jeune afro-américain avec un squelette derrière lui (portant chapeau cowboy Marlboro) : "First they made us pick the tobacco, now they want us to smoke it !" (« D'abord on nous force à récolteur leur tabac, maintenant ils veulent qu'on le fume ! »). Le pétrole a-t-il complètement remplacé le tabac et le sucre comme but(in) de nouvelles guerres et conquêtes ?

Hier, excursion dans le New Jersey, à Newark précisément, par le train-métro de grande-banlieue, via le PATH train dont les couloirs nous faisaient penser aux parcours de Régine Robin, chère Rivka A., juive errante dans les rues de Shanghai ces jours-ci sans doute. L'excursion comportait la volonté exprès de fumer une dernière clope légalement, au restaurant. À partir de samedi le 15 avril, l'état du New Jersey interdit la consommation du tabac dans les lieux publics.

Ye Ol' Irish Watering Hole... Parmi les épiceries coréennes, marchands de journaux pakistanais, boutiques de fringues juives et libanaises, cafés italiens, restaurants chinois, dominicains et cetera, on est toujours sûrs de trouver un bar irlandais. On n'a qu'à chercher le trèfle, l'enseigne verte garantissant non pas une pharmacie mais un Watering Hole, un endroit où l'on peut boire, accessoirement manger et fumer. Depuis que Bloomberg a interdit le tabac à New York, la bière reste à l'intérieur et la clope à l'extérieur, même en plein hiver. À partir de demain, l'interdiction du tabac arrive dans le New Jersey. Au Québec, c'est le premier juin. En France...

Pour l'instant, il y aura une exception française...
Bien cathos, la plupart des irlandais étatsuniens. Le stéréotype du policier, pompier et syndicaliste perdure puisque réel, comme les tenants du pouvoir à la cathédrale Saint-Patrick de New York. Enfin, qu'ils se réjouissent de la journée qui définit le christianisme et qui donne une riche tradition musicale...

Pour ce jour accompagné de l'image du roi des Juifs crucifié, je pense à la figure du Christ vue par le personnage du roman autofictif de Ken Bugul, Le Baobab fou. Arrivée chez les religieuses en Belgique, la protagoniste se trouve dans « une petite chambre, avec un petit lit, une petite armoire, une petite table, une petite chaise et au-dessus du petit lit, une petite croix, le Christ ».

Le téléphone (le mien) sonne, une amie belge de passage à New York pour la Pâque juive me parle de Ken Bugul que nous étions tous les deux contents d'avoir entendue et rencontrée au Salon du livre de Paris le mois dernier. Coïncidence de cette journée sainte, nous sommes deux à penser à l'auteure de La Folie ou la mort, Ken Bugul, auteure d'un nouveau roman La pièce d'or. J'ai pris ma copie du Baobab fou pour relire le passage de l'arrivée de la protagoniste en Belgique :
Pour la première fois, j'appelais chez moi, je criais au secours. J'avais peur de tout ce qui m'entourait. Surtout la solitude, le froid, le petit Christ au-dessus du petit lit. [...]

Je m'étais déshabillée en évitant soigneusement de regarder le petit Christ suspendu au-dessus du petit lit et qui n'était pas si couvert que ça. Je n'ai jamais compris pourquoi dans la religion catholique, les saints étaient représentés dans des tenues indécentes. Le torse du Christ, son ventre, ses cuisses sèchement musclées. Enfin j'avais fini par me retrouver entre les draps. J'éteignis la lumière après quelques soupirs et soufflements, épuisée. Et je sentais le petit Christ au-dessus de moi.

Quand on est habituée à la chaleur africaine – chaleur humaine comme de température – la figure du Christ dénudé fait peur, ça donne des frissons. Et nous semble si bizarre comme symbole d'une religion.

Pas de fumée sans feu ? Dans ces pensées de fumée du vendredi saint, le Christ de Ken Bugul ne figure que par coïncidence.

Un Juif de Jerusalem de 33 ans, aujourd'hui, se promenant en sandales dans nos métropoles de 2006 n'aurait pas connu la machine à écrire sans électricité ; il serait trop jeune. Il n'aurait pas non plus connu le cadran du téléphone où il fallait composer les 5 chiffres du numéro. Mais il pourrait monter sur sa croix sachant qu'il aura fumé une dernière clope en toute liberté, sans s'occuper des autres pollutions comme celles des voitures qui asphyxient la planète de monoxide. Inspire-t-il ? Aspirer, respirer puis mourir (dit Spear).

La prison des femmes entre celle de la Bastille et le cimetière du Père-Lachaise, la Petite Roquette, a été démolie mais, au coin des rues de la Roquette et de Croix-Faubin (11e arrondissement à Paris), vous verrez toujours les 5 dalles, en croix, qui marquent l'emplacement de la guillotine. Entre la guillotine et la porte de la prison, il y avait suffisamment d'espace pour permettre à la condamnée de se griller une dernière cigarette, avant de se faire décapiter.

Ô les beaux jours d'antan, quand on pouvait encore se griller une cigarette en toute liberté ? Crucifiés ces jours-là, partis en fumée !

J'attends le retour du calumet de la paix.

TCS

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