dimanche 30 novembre 2008

À Québec, sur les Plaines

Ciel gris ce jour-là (le 14 novembre dernier), au-dessus de la ville de Québec qui fête ses 400 ans en cette année 2008 (www.monquebec2008.com). En me promenant dans les rues de la ville, je pensais à Jan J. Dominique qui y avait élu résidence l'hiver dernier, en résidence d'auteure à la Maison de la littérature (son projet d'écriture étant, «L’Amérique, c’est le jardin de mon père»). Remontant les côtes de la ville, je peux imaginer comment on peut s'isoler de façon productive, les jours où il fait trop froid pour s'aventurer dehors : une chaleur intérieure avec le bruit étouffé par une couche de neige.

Et pourtant, je n'aime pas le froid.

Promenades sur les plaines d'Abraham, dominant le Saint-Laurent. J'étais à Québec pour le congrès de l'ACQS (American Council for Québec Studies) qui tenait sa réunion cette année avec l'ACSUS (Association for Canadian Studies in the United States) : réflexions sur l'histoire (québécoise, acadienne, canadienne), sur le cinéma, la société, le théâtre, l'Amérique francophone, les relations trans-Atlantiques et transnationales... Pour moi, il s'agissait surtout de voir ce qu'il y a de nouveau en lettres québécoises. Il y avait deux tables rondes (et une autre communication dans une table ronde sur «Labor and Gender») qui traitaient de l'oeuvre de Marie-Célie Agnant (dont ma propre communication) ; le cas d'Agnant est un exemple précis du talent des nouveaux visages de la littérature québécoise du XXIe siècle. Dany Laferrière, Ying Chen, Émile Ollivier... la littérature «néo-québécoise» était parfois l'appelation, mais on sait bien que le «néo-» n'est que provisoire, bien que «minorité visible» reste une classification officielle au Canada.

Avant de rentrer, je n'ai pas résisté à la tentation de me procurer un exemplaire du dvd qui venait de sortir, «Céline sur les Plaines» : presque quatre heures du concert de Céline Dion à Québec en août dernier :
Lors des Fêtes du 400e anniversaire de la Ville de Québec le 22 août 2008, le spectacle «Céline sur les Plaines» a rassemblé plus de 250 000 spectateurs sur les Plaines d’Abraham. Cet événement historique met en vedette Céline Dion et 11 des plus gros noms de la chanson québécoise. Avec Céline Dion : Garou, Marc Dupré, Nanette Workman, Dan Bigras, Mes Aïeux, Zachary Richard, Éric Lapointe, Claude Dubois, Jean-Pierre Ferland et Ginette Reno.
Difficile à croire que je recommande quoi que ce soit de Céline Dion, mais j'avoue que c'est un bon disque pour des raisons... du moins pédagogiques. La famille Dion, par exemple, une majorité des 13 frères et soeurs de la mégastar Dion, exemplifie de façon concrète la famille catholique nombreuse d'Une saison dans la vie d'Emmanuel de Marie-Claire Blais que je venais de lire avec mes étudiants : le clan Dion chante une bastringue assez mémorable (sur YouTube où je renvoie pour l'extrait, on peut également écouter cette bastringue historique avec La Bolduc).

Avec le groupe Mes Aïeux, la Dion chante «Dégénérations», la chanson à succès de leur disque Tire-toi une bûche. Sur YouTube on peut trouver l'extrait : Mes Aïeux : Dégénération à la Fête Nationale du Québec (il y a même une autre version avec sous-titres en anglais). Ils ont déjà vendu 45.000 exemplaires de La Ligne orange, leur dernier disque qui vient de sortir : un Disque d'Or pour l'un des groupes Trad les plus populaires au Québec. (Ça me fait penser à vous renvoyer vers le site des Cowboys Fringants...). Il y a pas mal de clips de Mes Aïeux en ligne pour découvrir : «Le déni de l'évidence», «Belle, embarquez»...

Sur ce dvd je découvre avec plaisir Nanette Workman, qui chante une «Lady Marmelade» sexy avec la Dion aussi bien qu'un bon blues... La présence de Zachary Richard est parmi les plus émouvantes du concert. Zachary Richard chante la «Ballade de Jean Batailleur» puis, avant de chanter «La promesse oubliée» qu'il avait composée à l'époque, rappelle au public les interventions de Céline Dion lors du passage de l'ouragan Katrina trois ans plus tôt (voir cet exemple où elle intervient sur l'émission de Larry King le 3 septembre 2005), et la solidarité des Québécois et des Québecoises avec leurs «cousins» de la Louisiane. La tradition musicale québécoise – de la bastringue de la famille Dion, aux blues de Nanette Workman et de Zachary Richard – rappelle les éléments hérités des vieux pays (celte breton, normand) comme faisant partie des traditions de l'Amérique du nord (country, blues, rock), que ce soit avec une vielle ou un accordéon, une batterie ou une guitare.

Avant de chanter «Femme de rêve», Claude Dubois s'adresse à la foule :
Pour les uns, le quatre centième anniversaire, c'est la fête d'une ville. Moi, je veux dire que Québec, tu es mon amour, ma patrie. Tu as enfanté d'une nation qui a résisté à l'assimilation, et je te dis que je t'aime !
Panorama sur le public enthousiaste qui applaudit après «un pays qui a résisté à l'assimilation», et je ressens un soupçon de xénophobie sans doute inévitable dans cette fierté nationale.

Et bien oui, la tradition perdure même dans la cuisine d'un pays qui ne connaissait pas de légumes frais pendant le long hiver. Oubliés le temps de la morue, la tradition française transformée à la québécoise couvre la bidoche avec des sauces lourdes au fromage, au beurre, à la crème. Comme dans d'autres pays froids sans épices, le végétarien se contentera de bonnes bières locales aux noms si évocateurs : La Maudite, La Barbarie, La Belle-Gueule, Dieu du ciel... (Malheureusement on ne fait plus de Kamouraska, qui donnait l'impression de boire une inspiration des plaines du rive sud du Saint-Laurent, au pays du roman d'Anne Hébert.)

Depuis mon retour de la ville de Québec (avec une courte escale à Montréal, assez longue quand même pour permettre une livraison à l'aéroport d'une bonne douzaine de bagels tout chauds), le Salon du Livre de Montréal a eu lieu, du 18 au 23 novembre. Quel plaisir de voir Marie-Claire Blais couronnée une nouvelle fois du Prix du Gouverneur Général (avec Michaëlle Jean, il s'agit plutôt de LA Gouverneure Générale) pour son nouveau roman, Naissance de Rebecca à l’ère des tourments, publié chez Boréal.

L'année 2008 est un bon cru pour Boréal : non seulement Blais, mais par exemple le nouveau roman de Monique Proulx, Champagne. Bonne année également pour les éditions Mémoire d'encrier : de nouvelles anthologies et de la poésie, dont de Gérald Bloncourt. Christine Germain est toujours un plaisir à ré-entendre chez Planète rebelle, maison qui comprend des lectures en disque audio avec ses livres, comme avec la nouveauté, Élégie nocturne, par Jean-Paul Daoust. À La courte échelle, on trouve un recueil prometteur, Premiers amours, «Neuf écrivaines, neuf nouvelles sur les premiers émois amoureux»... Là-dedans, je retrouve l'auteure de Putain et de Folle, Nelly Arcan qui, dans ses chroniques pour Canoë offre, par exemple, une réaction appropriée («So hot in bed !») aux Justiciers masqués, qui ont piégé Sarah Palin trois jours avant l'élection présidentielle américaine (pour CKOI FM). Classique !

Une virée dans la capitale québécoise était sans doute de vigueur pendant cette année du quadricentenaire. J'aurai raté l'impressionnant Moulin à images de Robert Lepage, images de la capitale et du pays projetées tout l'été sur les vieux silos à grain du port de Québec.

L'année prochaine, ce sera le tour du Vermont à faire la fête www.celebratechamplain.org : 400 ans depuis le voyage estival de Samuel de Champlain, la même année (1609) où Henry Hudson explore le fleuve qui portera son nom. Quatre cents ans après, il est dommage qu'il n'y ait pas de TGV en Amérique du nord pour remonter le Hudson, passer par le lac Champlain et arriver aux villes du Saint-Laurent.

TCS