dimanche 30 septembre 2007

des K enfouis

10 octobre 2005

Le passage de l'ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans et le Sud crée un deuil trop grand pour en parler. Et pourtant on ne fait qu'en parler. Ça fait plus d'un mois déjà.Avec de telles catastrophes, on a envie de se réveiller pour voir que ce n'était qu'un cauchemar : que l'on se lève, se penche par le balcon et tout se retrouve comme auparvant. La réalité en dit autre. Il nous reste à savoir ce que deviendra la région dévastée, ce que sera la nouvelle Nouvelle-Orléans.

On parle de tout : des chiens en bandes errantes, que l'on ramasse ou que l'on tue ; certains deviendront de véritables chiens créoles comme on en voit en Guadeloupe.

Pour écrire ce blog, je mets WWOZ, "New Orleans Jazz & Heritage Station." Plutôt WWOZ en exil ces jours-ci. Écoutez voir, en direct, 24/7. La musique continue.

Mais non pas la vie comme auparavant. Des milliers de vies bousculées.

Il y a des signes d'espoir, non moins étant les résistants, récalictrants qui ont pu rester et/ou n'ont pas voulu partir. Armés jusqu'aux dents, mieux préparés qu'aux résidents de Falloujda évacués de force ou tués... les fidèles de Marie Laveau se promèneront toujours, taggant d'autres X en craie rouge par ci, par là.

On reviendra prendre un café à la chicorée dans le seul endroit où l'on se permet de manger des donuts, puisque ça s'appelle « beignets » par là, n'est-ce pas. On y reviendra : pour la cuisine, pour la musique, pour le beau quartier dit français (peu endommagé d'ailleurs) et pour les quartiers plus durs, plus mal famés mais où la musique est aussi bonne et la cuisine souvent meilleure que dans la zone touristique.

Ouragan. Mot taïno désignant le dieu de l'orage. À la Nouvelle-Orléans on sait ce que c'est, la flotte. Les Antilles ne sont pas loin. Et pour une fois, on revient clairement sur le passé esclavagiste et ses séquelles.

Y a là-bas la boisson, Hurricane, que l'on distribue en take-out. Un ouragan, ça se boit : les piétons s'empiffrent de rhum et d'alcool. Le nom de la rue principale du French Quarter évoque plutôt un alcool particulier, le bourbon, petit b, sans jamais penser à une monarchie des French.

L'été s'est terminé et avec lui, d'autres deuils.

Max Dominique, par exemple. Voir « Le rire de Max... » par Rodney Saint-Eloi.

L'ouragan Katrina était passé en début du mois zodiaque des Vierges, signe de l'automne boréal. ¿ Qui sait pourquoi cette année j'ai tant pensé à une autre Katherine, Käte, en suivant les dégats de Katrina ? Je n'arrive pas à bien reproduire une photo de ma Katherine. En voici une approximation.

La photo est de Tridham Das. Prof de yoga de Robert Mapplethorpe à un moment donné, celui-ci l'avait pris en photo et lui avait légué une fascination et un oeil de photographe. Tridham est disparu de la circulation comme on dit, mais autrement que Katherine qui, elle, nous a quitté vraiment.

Vies à raconter, vies dispersées.

Katherine – née Käte Spiegl à Vienne en 1908, au 18 Berggasse, en face de chez les Freud – m'a raconté de ses aventures. Il y a une quinzaine d'années, j'ai enregistré de longues heures de conversations avec elle : les années 20 à Vienne, les colonies d'enfants faisant du camping dans un encadrement de la nouvelle Europe rouge. Ses voyages en Italie avec son copain, à vélo, en 1930 et 33. En 1934 elle obtient son doctorat en psychologie (spécialiste de l'éducation des enfants, Melanie Klein etc.), se marie, et cette année Dolfuss est assassiné pendant le voyage de Katherine de trois mois en France. Suivront d'autres voyages à Paris dans les années 30 par les liens de l'éducation et des jeunesses socialistes, l'exposition universelle en 37. Et puis l'Anschluss, le 12 mars 1938 où sa vie bousculera pour de bon, son mari politique pris, sa famille visée...

On s'est connu, Katherine et moi, dans un encadrement de langue française. Elle faisait son éducation à l'envers en quelque sorte : un doctorat qui ne valait rien pour une réfugiée-ennemie (l'Autriche étant un pays Nazi), juive en plus, mais elle a fini par se refaire une vie ici aux States, avec par la suite une maîtrise comme assistante sociale. À la retraite, Katherine faisait une licence en français pour s'amuser, et j'étais son professeur à l'époque où celle qui est née la même année qu'elle, Simone de Beauvoir, est morte.

Un jour il faudrait ressortir ces cassettes de voix. Réécouter en vif son récit de la Kristallnacht. Transcrire ces conversations, mettre de l'ordre à son récit de vie.

Un K perdu, un cas parmi d'autres.

J'irai voir le nouveau film Good Night, and Good Luck pour elle, fichée dans son pays d'accueil (celui de l'Oncle Sam) comme une dangereuse sympathisante de la gauche (fidèle de Pete Seeger, par exemple, en pleine Guerre froide).

...

Excusez le détour par des lettres francophones qui ne sont pas encore écrites. Dans le cas de Katherine, il s'agit d'un récit de vie. Pour vous, Katherine n'a rien à voir avec Katrina. Mais son anniversaire vient de passer avec la fin du mois de la Vierge, les feuilles vont tomber, et ces morts et ces vies déracinées, brisées donnent à réfléchir.

Quant à la Nouvelle-Orléans et l'aide sociale si défaillante dans ce pays, d'autres ont réagi autrement et bien plus clairement que notre gouvernement. En a pu entendre, par exemple, des Danny Glover, Harry Belafonte, les familles Marsalis et Neville... ils sont là, à vouloir que l'esprit de la ville « croissant » renaisse. Michael Moore aussi fait sur place son travail d'engagé pour aider les autres et pour nous réveiller tous.

Le roi est nu, the emperor has no clothes. Pour une fois on voit une faille dans la patine du cowboy en chef, habitué des beuveries de jeunesse texane dans la ville d'alcool et de putes, de flingues et de musique, des restes d'histoires des bâteaux-négriers, des amerindiens et des colons dans ce pays où les terres n'ont jamais vraiment été domptées, défrichées dans toute cette flotte du Delta et des bayous. Il fallait un Huey Long pour réunir toutes ces Parishes éloignées, redresser un peu les francophones isolés en leur donnant une langue de civilisés, n'est-ce pas. Lisez un peu Édouard Glissant ; son essai Faulkner, Mississippi, par exemple, vous décrit bien la dynamique du Sud. Glissant habitait la capitale louisianaise, Bâton Rouge, à l'époque où je l'ai rencontré la première fois. Je me demandais ce qu'il y faisait (comme moi, d'ailleurs). Faulkner, Missisippi en dit long, mais Bâton Rouge était pour lui un lieu favorable à l'écriture. Pendant les deux mois passés dans cette capitale sudiste, je préférais plutôt me tirer quand je le pouvais dans la « civilisation » de la Nouvelle-Orléans, à une bonne heure de route. C'est une ville qui passionne, où l'on aime retourner.

Je vous recommande quelques bons sites sur La Louisiane. Et, pour être plus littéraire sur la question de l'ouragan Katrina, je vous renvoie vers un poème de Jean-François Samlong, signé le 11 septembre dernier, « Christ Mississippi ».

Je termine avec des mélodies de la Nouvelle-Orléans, plus belles que des paroles, via WWOZ.

TCS

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