dimanche 30 septembre 2007

Le Pull ô Vert de Dany

29 janvier 2006

L'autre jour Dany a oublié son pull chez moi. Si pour Freud, il ne peut y avoir d'acte gratuit, quels vers trouverez-vous à tirer du nez dans une histoire qui débute avec un pullover laissé à Quisqueya Heights ? Il doit y avoir une histoire de Manhattan blues là-dedans, puisque franchement je ne vois rien de moins particulier dans un Calvados hors-âge ou un repas délicieux (ce n'est pas moi qui ai cuisiné) qui aurait prétexté un oubli aussi banal.

Je reviens à NY depuis l'été austral, où je ne pouvais m'empêcher de penser à Dany avec des manguiers prêts à faire tomber leurs fruits. Depuis l'île de la Réunion, un « plop ! » potentiel me faisait penser à Dany. Depuis que j'ai entendu cette mangue au début de Pays sans chapeau, les mangues qui tombent me font penser à lui : « Je veux perdre la tête. Redevenir un gosse de quatre ans. Tiens, un oiseau traverse mon champ de vision. J'écris : oiseau. Une mangue tombe. J'écris : mangue. Les enfants jouent au ballon dans la rue parmi les voitures. J'écris : enfants, ballon, voitures. On dirait un peintre primitif. Voilà, c'est ça, j'ai trouvé. Je suis un écrivain primitif ». Une mangue, un pullover me font penser à cet écrivain primitif, inspiration de ce nouveau film sur tous les écrans, Vers le sud.

Gosse de 4 ans, à Montréal estival, le voici avec un ruban (j'écris : ruban [et je pense à Jean-Jacques]), qui était blanc mais il est devenu vert par un coup de pinceau virtuel de Béatrice, qui a sans doute coupé le ruban du gamin...

Vert puisqu'il s'agit de ce pull-o-Vers le Sud, vers le soleil quand il fait moins 30° en cette saison à Montréal, d'où l'importance de ne pas oublier son pull. Dans la photo prise au début d'été dernier, un magasin affichait déjà le « Vert ».

Dany vient de sortir un nouveau roman, du même titre que le film, Vers le sud. Du site des éditions Grasset (premier chapitre disponible en ligne), on lit le suivant :

Dany Laferrière est né à Port-au-Prince en 1953. Devenu critique littéraire, il quitte Haïti quand, en juin 1976, un journaliste influent est assassiné par les "tontons macoutes", marquant le début de la dérive ubuesque de la tyrannie des Duvalier. Etabli à Miami, c'est là qu'il a écrit dix romans qui, de son point de vue, forment un seul livre : son "autobiographie américaine". On se rappelle l'un des plus connus, Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer (Le Serpent à plumes). Dany Laferrière a rejoint Grasset en 2005 avec Le Goût des jeunes filles. Il vit à Montréal.
Vers le Sud est un recueil d'histoires entrelacées qui forment un roman. Plusieurs personnages reviennent, comme Fanfan, double de l'auteur adolescent, qu'on avait déjà croisé dans Le Goût des jeunes filles. Mais ce qui crée l'unité profonde du livre, c'est le thème. Dans toutes les histoires, on retrouve un attrait vers le Sud, c'est-à-dire Haïti et ses corps noirs. Attrait souvent inexprimé, et d'autant plus fort. Le propriétaire d'un café de Brooklyn s'établit à Port-au-Prince et y embauche des gigolos pour séduire sa clientèle féminine. Une Américaine loue une maison bleue qui ressemble à une peinture naïve où elle va faire de troublantes découvertes. La fille d'un maître séduit un esclave.

Un roman sensuel, troublant, sur l'attirance des chairs.

Alors allez comprendre, c'est le même Dany de Je suis fatigué, qui a juré d'en avoir fini avec la littérature. Grasset lui colle la mention roman sur la couverture, et le voilà doublement marchandise, allez messieu-dames, prenez un exemplaire du roman après votre séance au cinéma ! Dany, as-tu pris un brevet sur des poupées Vers le sud ? Il y a du potentiel.

Dany était l'invité du jour le 12 janvier 2006 aux Matins de France-Culture :

"Pour empêcher un Haïtien de rêver, il faut l'abattre." L'auteur de ces mots, Dany Laferrière, est lui-même haïtien; il vit à Montréal et vient à Paris pour la sortie ... de son nouveau roman, Vers le sud.

La version audio de l'émission est disponible en ligne (les archives sont maintenant disponibles ; France-Cul fait du progrès !).

À la chronique quotidienne désespérante d'Haïti, où les élections générales viennent d'être reportées pour la quatrième fois, Dany Laferrière préfère la chronique résistante d'une littérature non pas tournée vers le désespoir, mais vers le désir, "vrai moteur de l'histoire". Esprit indépendant et subversif, Dany Laferrière a écrit un livre sur les relations complexes entre des femmes blanches, américaines, riches, âgées et des hommes noirs, haïtiens, pauvres et jeunes.
Tourisme sexuel ou tourisme amoureux ? Le débat est ouvert.
Un film de Laurent Cantet adapté de son oeuvre sortira sur les écrans le 25 janvier.


Réalisé par Laurent Cantet, Vers le sud (2005), sort ces jours-ci à Paris et à Montréal. Le scénario est basé sur trois nouvelles de La chair du maître de Dany Laferrière... n'ayant pas encore vu le film ni lu le roman qui l'accompagne, je m'amuse à lire la critique diverse.

Dans le résumé chez Yahoo.com, on lit ceci :

Heading South (Vers le sud) (2005)

On the sun drenched island of Haiti in the '70s, foreigners idle away their vacations in the palm-fringed paradise of the beach hotels. Brenda, Ellen and Sue, three North American women, converge on the island looking for flirtation, relaxation and respite from their colorless jobs and marriages. They find what they are looking for in Legba an enigmatic local adonis whose beauty and passion has them enthralled. It is this passion that will lead them away from the guilded cage of tourism and will open their eyes to the poverty stricken and dangerous world of Haiti at the end of "Baby Doc" Duvalier's notoriously violent regime.

Il y a un compte-rendu par Martin Tsai qui vaut une lecture ; (en anglais) : Review by Martin Tsai, in Cinema Scope (issue 25) [extrait] :
[...] “At home black guys don’t interest me. It’s different here because they are closer to nature,” says Ellen (Charlotte Rampling), an acid-tongued 55-year-old Wellesley professor who has made annual trips there for six years. She takes up with the stunning and charismatic Legba (Ménothy Cesar), and chastises another tourist for dressing him like “black guys in Harlem.” Little does Ellen know that beneath the façade of an innocent island youth, Legba leads a dangerous life that embodies the worst stereotypes she has projected onto African Americans. Given her background and stature, her decidedly un-P.C. assertions regarding the locals threaten to take viewers aback. Most films in the West that involve foreignism simply gloss over this colonialist mindset and unwittingly perpetuate it.
Haitian hustlers here are eager to subject themselves to the tourists’ patronage in exchange for free meals, gifts and cash. Their dependency is reminiscent of third-world women practically throwing themselves at GIs in Vietnam/Korean war flicks. Those women’s American dreams reaffirm notions of Western superiority. Since men typically assume the roles of providers to whom women naturally cling both on and off screen, the scenario’s gender reversal in Vers le sud underscores racial and class disparity. Another sharp contrast is the fact that Legba shows no inclination for pursuing life, liberty, and happiness in the States. [...]

In instances involving third-world deprivations such as the one here, there is always some subconscious colonialism on the part of the first-world protagonists in presumptuously appointing themselves saviours.

Comment peut-on penser que le dernier film soit moins controversé que tout ce qui a fait la carrière de Dany, depuis le premier roman, titre avec lequel on ne manque pas de le présenter.

Le mauvais film du premier roman, sorti en 1989, ne manquait pas de piment (comme son affiche) pour nos essais de Cultural Studies, n'est-ce pas. Depuis le début de sa carrière, du moins cette renommée a-t-elle permis à Dany de parler avec franchise, sans fioritures. Le dernier film promet des discussions aussi franches sur des sujets qui ne sont pas politiquement correctes : Haïti, par exemple, ou le tourisme sexuel de petites dames blanches autrement comme-il-faut...

Vers le sud, petit S pour ne pas confondre avec le Sud américain, d'un auteur pourtant si américain. La sortie simultanée du film et du « roman » me permet à vous inviter à découvrir Dany Laferrière, par la présentation sur « île en île », où vous pouvez même l'écouter lire des passages de La Chair du maître... (lecture faite en Guadeloupe, avec un bruit de fond des gamins qui jouent avec un ballon). Dany vient de sortir un recueil de ses chroniques des années 1980, Les années 80 dans ma vieille Ford, chez Mémoire d'encrier à Montréal, titre qui convient à cet écrivain si américain.

Deux nouveaux titres pour un auteur qui n'écrit plus. Quelle productivité ! Y aurait-il un « nègre » qui travaillait pour Dany Laferrière ?

L'année 2006 s'annonce plutôt verte pour Dany, Vers le Sud, vers la verdure. Un pulloVer pour ne pas avoir froid à Montréal et des billets verts pour entretenir un manguier à Petit-Goâve. Une bonne entrée dans l'année du chien qui marque, comme Dany Laferrière, cette fin janvier.

TCS

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