jeudi 29 novembre 2007

transatlantiques

New York, 29 novembre 2007

Transatlantiques vers la poésie, vers la lumière.

Pendant qu'il y a encore de quoi nourrir en pétrodollars ces nouveaux paquebots, autobus aériens, de pétrole iraquien, venezuélien, russe, canadien...
Ô Fric, je te chante dans le râle des mourants, les trafics d'armes brillantes
Brillantes comme l'éclat du jour dans tes yeux naissants à l'autre bout du monde si nu
Ô Fric, je te chante dans les oléoducs jaillissants, les bourses des temples,
Les pistes du ciel en tous sens les pavots fleuris sur les tombes des camés, des foutus.
Des pauvres connards rêveurs brûleurs d'encens.
C'est moi qui souligne, extrait du poème de Claire Karm, Ô Fric ! (cliquer pour lire en entier, et pour écouter l'auteure lire le poème).

Voyages entre continents, amis en vadrouille pour répandre de grosses vagues de paroles, par et pour des écrivains. Y en a qui s'en vont vers Port-au-Prince, pour un hommage à Jacques Roumain, dont c'est l'année centenaire (27 au 30 novembre, voir le programme sur le site Potomitan) et pour le festival Etonnants Voyageurs (du 1er au 4 décembre). D'autres, vers Kourou, où aura lieu le Symposium International Damas, en hommage à Léon-Gontran Damas, symposium organisé par la Députée Christiane Taubira (le 30 novembre). Dans un entretien, Mme Taubira explique pourquoi il y aura, au programme, tant d'étudiants, collégiens et lycéens, qui..

... entrent en scène et disent librement, sous la forme qu’ils ont choisie (exposé, vidéorama, spectacle vivant, exposition, etc) ce qu’ils comprennent et retiennent du poète, à leur âge et à leur époque. Ils le resituent dans l’espace et dans le temps, puisque les travaux présentés porteront sur son œuvre, mais aussi sur Césaire, Senghor, la Négritude, la Créolité et la diversité culturelle, reliant Damas au courant littéraire et social qu’il a fortement contribué à formuler. [...] Les jeunes sont des promesses qui se tiennent. Quels que soient nos rêves, nos utopies, nos désirs de surpassement, il y a toujours un ou des jeunes pour leur donner chair. Et lorsqu’ils flanchent, pour peu qu’on se souvienne qu’ils ne sont qu’au début de leur vie et que rien n’est définitivement joué pour eux, et qu’on leur fasse confiance, ils réalisent des merveilles.
Une belle initiative où la poésie vit chez les jeunes étudiants qui lisent, composent, riment, réfléchissent.

Ça me fait penser au succès de James Noël, en banlieue parisienne en ce moment, Rumeurs urbaines obligent. Voir « Poésie caribéenne, "une fête à la santé des mots" », un résumé de son passage au collège Alfred de Vigny, à Courbevoie* le 26 octobre dernier. L'urgence d'écrire. Rires.

Cherchant une illustration d'un transat – cette chaise, pliante, au bord des paquebots du même nom – j'ai trouvé mon exemple sur le site de l'Association French Lines :
L'Association French Lines a pour objet la mise en valeur du patrimoine des compagnies maritimes françaises, notamment celui de la Compagnie Générale Maritime et de la Société Nationale Maritime Corse Méditerranée. Il couvre plus d'un siècle et demi de l'histoire maritime française à travers les collections provenant de la Compagnie Générale Transatlantique™ et des Messageries Maritimes™. Des navires prestigieux ont marqué cette histoire tels que le paquebot France™ et le paquebot Normandie
Je cherchais une illustration, non pas étymologie, et les autres exemples trouvés démontrent que, effectivement, les voyageurs contemporains, habitués aux cars aériens, mélangent torchons et serviettes :
Pour illustrer l’étroite relation entre ces chaises longues et les paquebots transatlantiques, remarquons l’abus de langage que nous employons pour désigner aujourd’hui ce mobilier : ne parle-t-on pas d’un « transat » lorsque l’on s’assoit sur une chaise longue ?
Fascinant, le site. Histoire illustrée des Transats sur des transatlantiques.

Le temps se mesurait autrement à l'époque. Ça fait penser aux rythmes de Novecento, le protagoniste pianiste du roman éponyme d'Alessandro Baricco. "Il jouait je ne sais quelle diable de musique, petite, mais... belle". Jelly Roll Morton. Le piano sur lequel Novecento joue se met à glisser sur le parquet de la salle de bal, suivant les vagues et les mouvements du bateau qui tangue :
Et pendant qu'on voltigeait entre les tables, en frôlant les lampadaires et les fauteuils, j'ai compris, à ce moment-là, que ce qu'on faisait, ce qu'on était en train de faire, c'était danser avec l'Océan, nous et lui, des danseurs fous, et parfaits, emportés dans une valse lente, sur le parquet doré de la nuit. Oh yes.
Plus tard, Novecento joue un morceau "à virtuosité folle", rivant son public:
... ils restèrent là, sans rien dire, complètement éberlués, même après cette dernière charge meurtrière d'accords, qui avait l'air d'être jouée à cinquante mains, on aurait cru que le piano allait exploser. Et dans ce silence de folie, Novecento se leva, prit ma cigarette, se pencha un peu vers le piano, par-dessus le clavier, et approcha la cigarette des cordes.
Un grésillement léger.
Il s'écarta, et la cigarette était allumée.
[je cite de la traduction de Françoise Brun (Gallimard) de Baricco, dont la musique va jusqu'à L'Âme de Hegel et [aux] Vaches du Wisconsin... ]
Voilà une traversée en style. Pourquoi n'avons-nous pas de salle de bal dans les avions, avec un piano à queue ?

Plus de transats pour se bronzer pendant la traversée. Plus de soleil, on n'a plus de temps pour des traversées consacrées au farniente.

Au-dessus, j'entends des avions sur New York. Au mois des sagittaires. On dit que nous avons la bougeotte. "Notre" planet est Jupiter, mais je préfère penser à Saturne, puisque le mois du sagittaire se termine au solstice d'hiver et avec les fêtes saturnales. (Par curiosité, j'ai trouvé d'autres personnes nées avec Saturne en Sagittaire, comme moi : Arletty*, André Gide, Juliette Greco – tiens, sur YouTube, on peut la voir/écouter chanter "Déshabillez-moi" [1967, trop cute] –, Alfred Hitchcock, Claude Nougaro, Emile Zola... Une bonne compagnie.)

The Archer... avec sa flèche phallique, sa/son Spear, sa sagaie de Sagittaire :

Optimistic and freedom-loving
Jovial and good-humored
Honest and straightforward
Intellectual and philosophical

Blindly optimistic and careless
Irresponsible and superficial
Tactless and restless

Transatlantiques virtuels.

TCS

samedi 13 octobre 2007

Alfred Largange, 1971-2007

New York, 13 octobre 2007

Hier, avec cet anniversaire curieux qui marque aux États-Unis (et ailleurs) l'arrivée, le 12 octobre 1492, de Christophe Colomb... aux Indes, n'est-ce pas... et, ayant moi-même terminé deux gros projets, la journée de Colomb était trop marquée (étant également la date choisie pour débuter le site Île en île il y a 9 ans), et j'ai pensé à Alfred Largange. Pourquoi Alfred? parce que la voix de Joseph Zobel m'est venu à l'esprit, quand Zobel parle de Colomb. Yane Mareine a fait enregistrer Joseph Zobel qui lit un beau texte drôle de Yane. Je crois avoir déjà partagé cet enregistrement avec Alfred.

Pour Alfred donc, je vous invite à faire jouer la voix de Joseph Zobel, lisant un texte de Yane Mareine, bel enregistrement qu'elle a utilisé dans son spectacle Les chants graffiti (descriptif dans le dossier sur Yane sur le site Gens de la Caraïbe) en 2001. Cliquez sur l'image ci-après à droite pour écouter Joseph Zobel (1'26") lire le texte qui suit:
Ainsi, il y eut un soir
il y eut un matin
la mer

d'autres soirs
et d'autres matins

la mer
la mer

soir et matin
soir et matin
la mer
la mer

toujours
la mer


Peur ou dedans
dehors
la mer


Il y eut calme plat
et tempêtes sous les crânes
Il y eut trouille au ventre
et horizons perdus
soixante-neuf jours
soixante-neuf nuits
la mer

Il y eut un soir
Il y eut un matin
Colomb vit que cela était bon

Le 12 octobre 1492
il patauge dans l'eau
jusqu'à mi-cuisses
et jubile,
Les Indes !

Les Indes !

En réalité, le soleil qui l'aveugle
est celui des Antilles

Il était gentil, Colomb !
mais il était con !
Il était CON !
Je viens de parler avec Yane Mareine qui me permet de mettre ça en ligne pour vous, pour Alfred.

Alfred Largange est mort soudainement le mois dernier. Voir cette page-hommage à Alfred Largange (par Francesca Palli, sur Potomitan). Je ne l'ai jamais rencontré, Alfred, mais nous avons établi une correspondance depuis plusieurs années. Cela a dû commencer au sujet d'Aimé Césaire, le premier auteur présenté sur le site d'Île en île dès l'ouverture du site... le 12 octobre 1998. Cela devait être Alfred qui m'avait écrit. Sans connaître mon correspondant, j'aurais facilement pris Alfred pour un vieux (¡ Ce n'était pas le cas !), jugeant par son prénom plutôt rare depuis une quarantaine d'années (voir le site notrefamille.com, pour la popularité des prénoms en France).

La présentation d'Aimé Césaire était longtemps en ligne sur Île en île sans texte biographique. Alfred Largange a offert d'écrire une présentation, en ligne depuis lors et par la suite souvent recopiée et imprimée ailleurs, presque toujours avec le nom d'Alfred Largange enlevé. Reproduit tel quel dans le recueil Hurricane, cris d'insulaires (Desnel, 2005), Suzanne Dracius (qui avait réuni le recueil) m'avait informé par la suite que c'était le bureau même d'Aimé Césaire qui lui avait offert le texte d'Alfred, avec ma bibliographie, sans son nom ou la provenance des informations.

Il s'en foutait pas mal, Alfred. Mais une correspondance est née, où il s'agissait parfois de littérature, parfois de plagiat, sinon d'Haïti.

Dans cette correspondance, il y avait celle qui traitait des autres dossiers pour Île en île, pour lesquels Alfred a réuni les photos et les éléments bibliographiques, et rédigé un texte de présentation biographique.

Joseph Zobel, d'abord. Pour ce dossier, j'ai fait remarquer à Alfred que l'encadrement que nous utilisons de sa photo garde l'insigne rouge de la Légion d'honneur sur la veste de Zobel. Et je lui ai dit que nous nous étions ratés en personne, puisque j'avais rencontré Joseph Zobel le même jour et au même endroit où Alfred avait pris la photo que vous voyez sur la présentation de Zobel sur Île en île. Mais je ne l'y avais pas croisé, Alfred, puisque nous ne savions pas que nous étions tous les deux à Paris et au Salon du livre ce jour-là, le 24 mars 2002. Par la suite, j'ai pu ajouter des enregistrements de la voix de Zobel dans les pages-annexes du dossier d'Île en île, des sélections du disque ramené de chez Papa Jo par Yane. Et Alfred a fait, après la mort de Joseph Zobel, un site-hommage consacré à l'écrivain. (Francesca m'informe qu'elle va transférer le site de Zobel sur Potomitan.)

C'est Alfred Largange qui m'a fait découvrir – et qui vous fait découvrir – Guy Cabort-Masson, par un troisième dossier d'un homme de lettres martiniquais. Cabort-Masson est sociologue, militant, engagé dans une pédagogie alternative dans les années 1970, essayiste... Je vous renvoie vers la présentation de Guy Cabort-Masson.

Alfred Largange avait 35 ans le jour de sa mort.

Après sa mort, j'ai reçu un courriel de son amie Micaela Rojas, qui nous a transmis des liens vers des traces d'Alfred – qui avait un pseudo (et une fois un site nommé) Bwabrilé – que l'on trouve sur le web, dont un article sur Matrix et un entretien avec Ramon Grosfogueles publiés dans le New West Indian, un article sur le roman Diab'la (de Zobel) sur Potomitan, et son Rapport sur la coopération martiniquaise et régionale. Peut-être que la page-hommage à Alfred Largange sur Potomitan aura un jour des liens pour retrouver tous les textes d'Alfred.

C'était un amoureux de la Caraïbe, Alfred Largange, un amoureux des îles et d'Haïti. Pendant deux de mes voyages en Haïti – pays où moi, du moins, n'ai pas le temps ou forcément une connexion pour m'occuper souvent de mon courriel – j'ai eu un échange avec Alfred. Hasard ? La dernière fois, c'était au sujet de Joseph Zobel, au moment de sa mort le 17 juin 2006. Cela ne pouvait pas être un hasard, puisque j'étais en Haïti ce jour-là, et en compagnie de Yane Mareine qui connaissait si bien Papa Jo (voir ci-dessus), quand Alfred et moi avons échangé ces messages – à travers les mers et les îles – au sujet de Joseph Zobel.

On a échangé une série de messages au sujet des textes d'Alfred écrits pour Île en île qui sont plagiés ailleurs sur le web, par la presse et dans des livres, sans citer son nom ni celui d'Île en île. Il y avait des courriels amusants partagés entre Suzanne Dracius, Alfred et moi au sujet de Grioo.com, par exemple, qui se plaignait des gens qui plagiaient leur site, quand Grioo ne se gênait pas à se servir librement des textes et images d'Île en île, dont tout n'est pas effacé...

Et puis, il y avait une conversation libre avec Alfred, selon l'inspiration. Dans ma boîte de réception (Inbox), je retrouve un message de lui auquel je n'avais pas encore répondu où il s'agit de Fabienne Kanor (que je pouvais aller voir sur YouTube), du mot taïno, ouragan / hurricane... et d'autres sujets encore. Alfred me disait que quelqu'un qui recherchait une subvention (une demande qu'il espérait aboutir nulle part) pour se consacrer à Aimé Césaire, se servait librement, écrivait-il, "du texte que j'avais rédigé pour d'Iles-en-Iles" (qu'il orthographiait toujours ainsi). Son courriel se termine,
"Enfin, le plagiat n'est-il pas un hommage du vulgaire ?"
Je peux confirmer qu'en plus de mes propres hommages respectueux et amicaux, Alfred Largange a déjà reçu beaucoup d'autres hommages "du vulgaire", et des vulgaires !

En janvier, j'ai fait escale dans le bel aéroport de Singapour en revenant d'un voyage sublime à Bali. Je lui ai écrit ne pouvoir m'imaginer vivre à Singapour comme lui, mais lui disais que, pourquoi ne pas faire escale une prochaine fois, qui sait quand, pour le rencontrer à son île de Singapour ?

Comment terminer ? En disant à son amie, Micaela Rojas, que je ne l'ai jamais connu, Alfred – elle le connaissait depuis 20 ans – mais que j'aimerais découvrir Emile MONA, pour elle, pour lui. Du courriel de Micaela, je cite le texte de la chanson, pour ne pas oublier.

Agoulousse lan mô
Ti-chimen an yo kryé lan mô a
Piti piti piti, nou tout' la ké pasé
Piti piti piti, fok nou pasé kan mêm
Pasé nou ka pasé, pasé anlè tè a

Yo chanjé nom'y pou yo ba'y nom volè
Poutchi ou kryé'y vôlè, sa i ja volè ki ta'w
Poutchi ou kryé'y volè, Bondyé pa lé'w lè ou mô
Pasé nou ka pasé, pasé anlè tè a
"
Je vous remercie, Micaela, de nous avoir tenu au courant. Avec mes hommages partagés et mes condoléances à sa famille et à ses proches, je rappelle que l'échange amical que j'avais avec lui n'est rien par rapport à son geste généreux que je souligne, c'est-à-dire, ses diverses façons de présenter la littérature et la culture antillaises, et de célebrer ses compatriotes martiniquais en les faisant mieux connaître par ses recherches diffusées, comme on le voit, par le web. Je le remercie encore une fois en lui disant adieu.

Les notices publiques de son décès informent qu'il est né le 8 décembre. Comme moi. Cette année 2007, je serai à Lyon, où "le 8 décembre dure 4 jours" : fête de l'Immaculée Conception, fête de la ville de Lyon : les rues se remplissent de foules qui se promènent dans les traboules et sur les places, avec les lumières laser et les lumignons dans toutes les fenêtres. Pour la Fête des Lumières à Lyon cette année, le 8 décembre, j'allumerai un lumignon pour Alfred.

Adieu, Alfred. Aux retrouvailles virtuelles et Immaculées des 8 décembre.

Une bougie pour un esprit ami, intelligent et généreux, parti trop tôt.

TCS

dimanche 30 septembre 2007

sans filtre

30 septembre 2007

Sans filtre. Depuis longtemps ce titre qui me trottine dans la tête. Une vie, un roman, un jus de pommes, un récit, une cigarette... sans filtre. Ça vaut un roman qui me ressemble.

Nouvelle date, après ces vieux messages transférés. Automne à New York. Encore plus d'un an avant de voter pour mettre... Dennis Kucinich à la Maison Blanche? On peut encore rêver. Quand j'ai répondu à une dizaine de questions sur Select a Candidate 2008, c'est Kucinich le seul candidat qui corresponde à toutes mes réponses. Encore un an pour que l'argent de la machinerie guerrière nous sponsorise un autre candidat qui sera moins pacifique, moins démocrate.

restons x-centriques alors, éloignés des idées courantes.

Fin septembre, rangement de paperasses d'été, d'autres espaces virtuels.

Nouvelle saison, nouvelles pages littéraires.

à suivre.

TCS

Diversité culturelle

[dernier des fichiers 2005-2006, celui-ci non pas en ordre chronologique]

13 juin 2005

Si je n'avais pas reçu le « trophée de la diversité culturelle » en mars dernier, je me serais moins focalisé sur le sujet du jour, sans doute... Il m'arrive de voir des journalistes constater la popularité des personnes ou des idées en donnant un chiffre obtenu par Google. « Diversité culturelle » vient de me donner quelques 688.000 résultats. On dirait que c'est une expression vraiment à la mode ces jours-ci.

En avril, il y avait un colloque au Sénat, Le Printemps de la Diversité Culturelle. Le colloque était organisé par le Cercle d’Action pour la Promotion de la Diversité en France (le CAPDIV) ; un ami qui y était m'a dit que l'écrivain Olympe Bhêly-Quenum avait brandi une copie du recueil d'essais que j'ai publié chez Karthala en 2002, paroles diverses des populations idem en France. Le programme avait l'air intéressant...

En feuillettant virtuellement Respect Magazine – ceci dit, j'aime bien leur devise, « décoloniser nos imaginaires » – j'y vois une enquête sur la Charte de la diversité. Ils essaient également de donner visage à, et de célébrer, la France diverse.

Est-ce ça bouge finalement en France, comme ailleurs ?

J'ai entendu de opinions diverses (e.g., Calixthe Beyala, Raphaël Confiant) sur la question de l'invisibilité des « minorités visibles » en France (oui ou non pour la question des quotas à la télévision, par exemple). D'ailleurs, j'ai l'impression que cette expression vient du Canada – allez voir la section sur les « Origines ethniques » sur le site du Statistique Canada. N'est-ce pas dans l'air du temps des Chirac, Sarkozy et cie, les minorités visibles ? Dans la ville de New York, comme dans l'état de Californie, il n'y a pas de majorité, alors comment faire quand on est tous minorités (et évidemment tous visibles) ?

Finalement, ce n'est pas une mauvaise chose que d'avoir le site web « île en île » honoré par le « trophée de la diversité culturelle » (« attribué à une personnalité, personne ou entreprise apparentée ou non au monde francophone, ayant contribué, de quelque manière et dans quelque domaine que ce soit, au maintien ou au développement de la diversité culturelle dans le monde »). Sur le site des Trophées de la langue française, on peut trouver des détails sur la soirée à Amiens, curieusement sans mention du nom du sculpteur des trophées cette année, Niko, qui nous a créé de belles pièces en bois.

En mai, quand Dominique Batraville m'a posé des questions au sujet du trophée pour Haiti Press Network, je suis revenu sur cette question de diversité culturelle (lisez l'entretien posté en ligne le 10 mai 2005)... Mais à quoi bon finalement parler de tels sujets à une population haïtienne ? Ce sont plutôt aux Français que je devrais m'adresser, pour rappeler les oublis envers leur propre histoire (la diversité ?), haïtiano-française.

Il y a tant de questions d'étiquettes, acceptées ou pas. Si vous étiez invité(e) à une soirée destinée aux « communautés ethnoculturelles » (comme l'invitation de Télé-Diversité Montréal 2005 vers laquelle renvoie le lien), est-ce que vous y iriez ?

Chantons donc le divers... À Montréal en juillet, il y a le festival Divers/Cité (la Célébration de la fierté lesbienne, gaie, bisexuelle, transexuelle et travestie), autrement culturel, n'est-ce pas, au pays du PQ...Trinquons au divers, à la cité, au Q – pas aux ghettos ni aux cultes – à la culture, a la diversité.

TCS

¡ Ya ! Yane !

20 septembre 2006

Comment ne pas penser à Katherine ce jour où je poste un premier blogue depuis plus de cinq mois. Coïncidence, au moment où je reviens sur ce site, je clique sur un bouton "visites récentes" pour voir que quelqu'un a fait une recherche sur Google, "nombre de francais morts" 11 septembre , qui donne une seule réponse : " Des K enfouis " où, pensant à Katrina et à Katherine, j'avais affiché une photo de Katherine qui aurait eu 98 ans aujourd'hui, le 20 septembre.

Yane pourrait apprécier une pensée pour Katherine pour qui je transformerai la cigarette, partagée – c'est Hitler qui m'a fait fumer , disait-elle – en bougie d'anniversaire. K dont l'âme s'est envolée, il y a 15 ans, dans sa ville natale ; une dernière révérence, morte à Vienne, au théâtre. J'envoie son esprit assister à ma place, une bonne place.


Yane Mareine
photo (détail) © 2006 Vincent Flouret

Ô Yane ! je ne pourrai assister que virtuellement à la générale !

Yane Mareine . Son site la présente un tout petit peu, maReine.com … (voir aussi les pages spéciales, Yane Mareine , sur le site des Gens de la Caraïbe ).

Comme il lui convient, elle ouvre royalement, sur les Champs-Élysées au Théâtre Marigny le 26 septembre, dans une pièce de Lee Blessing présentée comme "un thriller psychologique", En allant à Saint-Yves.

Il s'agit de " Deux femmes, meurtries dans leur vie de mère, que tout oppose en apparence. Deux cultures, deux sensibilités s'affrontent ". Béatrice Agénin et Yane Mareine jouent les deux protagonistes de cette tragédie prenante, classique, grecque…

Une rencontre, une conversation à deux. La pièce est signée Lee Blessing (qui vit dans la grosse pomme d'où j'écris; la pièce est traduite par François Bouchereau).

On apprend, dans le dossier de presse (allez voir), qu'ils s'agit de:

"Deux mères. Chacune avec une douleur liée à son enfant. L'une est en deuil d'un fils, l'autre veut assassiner le sien, devenu tyran d'un petit pays africain. Cora est blanche et vit en Angleterre pour fuir la violence des grandes villes américaines, Mary est noire et vient d'un pays encore meurtri par la colonisation".

Béatrice Agénin écrit, "Il y a entre ces deux femmes un secret sourd qui ressemble à une forme de liberté, le droit de vie ou de mort sur sa propre descendance, au-delà de toute morale".

Une pièce que je ne voudrais pas rater.

et pourtant.

Vous me raconterez?

À Paris en ce moment (du 19 au 22 septembre) on fête le 50e anniversaire du premier Congrès International des Écrivains et Artistes noirs. La célébration est organisée par Présence Africaine, la Communauté Africaine de Culture et le W.E.B. DuBois Institute for African and African-American Research à Harvard (en collaboration avec l'UNESCO et l'Organisation Internationale de la Francophonie). Voir le site de Présence Africaine . J'aurais aimé être là, aussi, parmi les anciens et les jeunes, nos amis, ces penseurs et créateurs d'aujourd'hui et de demain (voir " Ce monde ne sera plus blanc " par Giscard Bouchotte et le programme complet ).

À Paris je serais même passé écouter un peu de la Journée d'études : Histoire des masculinités en France, 1789-1945 au Centre Panthéon, le 22 septembre 2006. ( programme )

On peut pas tout faire. Trop de beaux spectacles nous illuminent ces jours-ci, par exemple à Paris.

et à New York.

Quant à Paris, vous irez à ma place.

En allant à Saint-Yves
de Lee Blessing
mise en scène de Béatrice Agénin
à partir du 26 septembre au Théâtre Marigny

TCS

Fumées crucifiées (pour Ken Bugul)

14 avril 2006

Crucifions... le Tabac... Tabernacle !

Vendredi « saint » – le « bon » vendredi en anglais ("Good Friday") – pour crucifier le roi des Juifs. Curieusement je retrouve aujourd'hui un courriel de Dominique Batraville (« Chaque séraphin a quelque part un foulard de femme. Juste pour contourner le soleil de la mort. Tu vois ? ») auquel je réponds ; le sujet est « Thomas du Vendredi Saint »...

Une journée fériée offre une minute pour quelques réflexions littéraires ? du moins enfumées, au nom du Saint Thomas, celui qui doute.

L'exception française est toujours d'actualité. Au journal télévisé de 20 heures de France2, mercredi le 12 avril, on apprend que, « une fois de plus, le gouvernement ne sait plus où il va ». Bref, dans les propositions de la semaine, il s'agit de créer des cabines fumeurs tout en interdisant la consommation de tabac dans les lieux publics en France. On voit un député dans les coulisses de l'Assemblée, enfin, au palais Bourbon, M. André Santini (UDF). Cigare allumé à la main, le député se moque du « brillant succès » du gouvernement avec son CPE ; continuant avec le même ton ironique, il renchérit sur la proposition de loi interdisant de fumer : « On peut plus boire, on peut plus manger, on peut plus fumer, on peut plus baiser, formidable ! ».

[ Ce vendredi saint, je rappelle le fait que de telles paroles ne passeraient jamais sur le petit écran au pays puritain des USA. ]
Sur la question du tabac, rien ne sera décidé en France dans un proche avenir. Pour une fois, le gouvernement va consulter et dialoguer avant de lutter davantage contre le tabagisme passif. « Il est urgent d'attendre ». Voilà pour les actualités françaises : grèves, mécontentement, ras le bol général, plus ça change... Quelques exemples de l'exception française.

La France traverse une petite crise d'identité. Un Chirac qui touche à son terme. Pour le remplacer en 2007, est-ce que cela va être un Sarko à la Giuliani, tolérance-zéro (voir le nouveau documentaire, Giuliani Time), ou plutôt une femme qui fait en ce moment une tournée « Listening Tour » à la Hillary, Désirs d'avenir ? Mère de famille, ça peut toujours servir au vote catho me fait penser le vendredi sein. (La dame candidate pour la Maison blanche en 2008 s'est déjà ramassé une impressionnante "war chest", ce qui veut dire un gros trésor de fric pour sa candidature, ce qui se traduit également en anglais comme une « poitrine de guerre/ière »).

Défense de fumer ? Que penser de ces interdictions ? (La phrase préférée de Nancy Reagan, n'est-ce pas, était "Just say No!") N'étaient-ce pas le café, le chocolat, le tabac qui faisaient le but(in) de la conquête des colonies ? La Virginie ? Le Kentucky ? Los Ricos Habaneros ? Les nouvelles pubs anti-tabacs sont parfois assez fortes ; dans un bel exemple on voit un jeune afro-américain avec un squelette derrière lui (portant chapeau cowboy Marlboro) : "First they made us pick the tobacco, now they want us to smoke it !" (« D'abord on nous force à récolteur leur tabac, maintenant ils veulent qu'on le fume ! »). Le pétrole a-t-il complètement remplacé le tabac et le sucre comme but(in) de nouvelles guerres et conquêtes ?

Hier, excursion dans le New Jersey, à Newark précisément, par le train-métro de grande-banlieue, via le PATH train dont les couloirs nous faisaient penser aux parcours de Régine Robin, chère Rivka A., juive errante dans les rues de Shanghai ces jours-ci sans doute. L'excursion comportait la volonté exprès de fumer une dernière clope légalement, au restaurant. À partir de samedi le 15 avril, l'état du New Jersey interdit la consommation du tabac dans les lieux publics.

Ye Ol' Irish Watering Hole... Parmi les épiceries coréennes, marchands de journaux pakistanais, boutiques de fringues juives et libanaises, cafés italiens, restaurants chinois, dominicains et cetera, on est toujours sûrs de trouver un bar irlandais. On n'a qu'à chercher le trèfle, l'enseigne verte garantissant non pas une pharmacie mais un Watering Hole, un endroit où l'on peut boire, accessoirement manger et fumer. Depuis que Bloomberg a interdit le tabac à New York, la bière reste à l'intérieur et la clope à l'extérieur, même en plein hiver. À partir de demain, l'interdiction du tabac arrive dans le New Jersey. Au Québec, c'est le premier juin. En France...

Pour l'instant, il y aura une exception française...
Bien cathos, la plupart des irlandais étatsuniens. Le stéréotype du policier, pompier et syndicaliste perdure puisque réel, comme les tenants du pouvoir à la cathédrale Saint-Patrick de New York. Enfin, qu'ils se réjouissent de la journée qui définit le christianisme et qui donne une riche tradition musicale...

Pour ce jour accompagné de l'image du roi des Juifs crucifié, je pense à la figure du Christ vue par le personnage du roman autofictif de Ken Bugul, Le Baobab fou. Arrivée chez les religieuses en Belgique, la protagoniste se trouve dans « une petite chambre, avec un petit lit, une petite armoire, une petite table, une petite chaise et au-dessus du petit lit, une petite croix, le Christ ».

Le téléphone (le mien) sonne, une amie belge de passage à New York pour la Pâque juive me parle de Ken Bugul que nous étions tous les deux contents d'avoir entendue et rencontrée au Salon du livre de Paris le mois dernier. Coïncidence de cette journée sainte, nous sommes deux à penser à l'auteure de La Folie ou la mort, Ken Bugul, auteure d'un nouveau roman La pièce d'or. J'ai pris ma copie du Baobab fou pour relire le passage de l'arrivée de la protagoniste en Belgique :
Pour la première fois, j'appelais chez moi, je criais au secours. J'avais peur de tout ce qui m'entourait. Surtout la solitude, le froid, le petit Christ au-dessus du petit lit. [...]

Je m'étais déshabillée en évitant soigneusement de regarder le petit Christ suspendu au-dessus du petit lit et qui n'était pas si couvert que ça. Je n'ai jamais compris pourquoi dans la religion catholique, les saints étaient représentés dans des tenues indécentes. Le torse du Christ, son ventre, ses cuisses sèchement musclées. Enfin j'avais fini par me retrouver entre les draps. J'éteignis la lumière après quelques soupirs et soufflements, épuisée. Et je sentais le petit Christ au-dessus de moi.

Quand on est habituée à la chaleur africaine – chaleur humaine comme de température – la figure du Christ dénudé fait peur, ça donne des frissons. Et nous semble si bizarre comme symbole d'une religion.

Pas de fumée sans feu ? Dans ces pensées de fumée du vendredi saint, le Christ de Ken Bugul ne figure que par coïncidence.

Un Juif de Jerusalem de 33 ans, aujourd'hui, se promenant en sandales dans nos métropoles de 2006 n'aurait pas connu la machine à écrire sans électricité ; il serait trop jeune. Il n'aurait pas non plus connu le cadran du téléphone où il fallait composer les 5 chiffres du numéro. Mais il pourrait monter sur sa croix sachant qu'il aura fumé une dernière clope en toute liberté, sans s'occuper des autres pollutions comme celles des voitures qui asphyxient la planète de monoxide. Inspire-t-il ? Aspirer, respirer puis mourir (dit Spear).

La prison des femmes entre celle de la Bastille et le cimetière du Père-Lachaise, la Petite Roquette, a été démolie mais, au coin des rues de la Roquette et de Croix-Faubin (11e arrondissement à Paris), vous verrez toujours les 5 dalles, en croix, qui marquent l'emplacement de la guillotine. Entre la guillotine et la porte de la prison, il y avait suffisamment d'espace pour permettre à la condamnée de se griller une dernière cigarette, avant de se faire décapiter.

Ô les beaux jours d'antan, quand on pouvait encore se griller une cigarette en toute liberté ? Crucifiés ces jours-là, partis en fumée !

J'attends le retour du calumet de la paix.

TCS

Un beau fruit étrange de Kettly Mars

3 avril 2006

Le dernier roman de Kettly Mars, L'Heure hybride, nous raconte l'histoire d'un fruit étrange...

Lors du Salon du livre de Paris le mois dernier, on affirmait que c'était le premier roman de Kettly Mars. Contexte parisien des francofffonies oblige, il fallait rappeler qu'il y a des livres en langue française qui ne sont pas Made in France... Kettly Mars a une oeuvre déjà. (Voir une présentation de Kettly Mars sur « île en île ».)

« L'heure hybride » du titre est celle où la nuit s'accompagne d'une journée naissante, où « la lune énorme et froide... [mêle] sa lumière à celle de l'aube ». Pendant l'émission du Bateau Livre le 19 mars 2006, Frédéric Ferney a demandé à l'auteure ce que c'est que « l'heure hybride ». C'est un questionnement, a-t-elle répondu, une angoisse perpétuelle, la quête de « qui suis-je ? » du personnage principal.

En lisant le roman, je pensais (difficile à expliquer pourquoi) à la chanson « Strange Fruit », rendue si célèbre par Billie Holiday. « Strange Fruit », vous connaissez ? Écrite par un enseignant juif du Bronx, Abel Meerepol (dit Lewis Allan), la chanson a également donné le titre à un documentaire sur Billie Holiday. Les fruits de la chanson en question étaient plutôt les hommes noirs, lynchés, qui pendaient comme de drôles de fruits aux arbres... Comme pour l'étrangeté de la voix tragique sui generis de Billie Holiday, le personnage principal du roman de Kettly Mars me faisait penser à un fruit étrange: Jean François Éric L'Hermite, dit Rico L'Hermite.

Tout de même, dans le roman il ne s'agit pas de tragédie ; le héros ne meurt pas. Mais il porte en lui une certaine étrangeté, dont son angoisse, et il n'est pas le seul personnage unique du roman. Parmi les personnages secondaires par exemple, il y a Vaura, locataire de la même pension que Rico. « Fleur étrange », cette étudiante en psychologie snobe notre héros ; elle le dérange et refuse ses avances. Rico reste sûr de lui, convaincu qu'elle succombera à ses charmes : « Je l'aurai à l'usure, au timing comme on dit, quand les petits amis encore imberbes ne pourront plus combler... ».

Tout dans le roman se passe en une seule soirée, entre 5 heures 35 et neuf heures dix du soir. C'est le lendemain d'une soirée particulièrement mouvementée pour le héros qui se réveille et se prépare pour une autre tournée nocturne à Port-au-Prince. « L'heure hybride » évoque également le moment où la journée se transforme en crepuscule, moment de transformation et de réflexion pour la faune de nuit comme Rico. En se levant, Rico se rappelle la soirée torride avec des amis fêtards de musique, d'alcool et de sexe : « Nous fréquentions le salon de Patrice pour les mêmes raisons, lever du gibier »
En moins de quatre heures, tout se passe pendant le réveil de Rico qui s'apprête à ressortir. Âgé bientôt de 40 ans, Rico fait un bilan de sa vie. La bête de plaisir réfléchit à sa vie passée ; l'anniversaire qui s'approche s'annonce décisif.

Je m'empêche de révéler la dernière partie du roman pour ne pas gâcher le plaisir d'une première lecture. Ça m'agace tant, en fait, de lire des comptes rendus qui révèlent trop de l'intrigue. Un exemple est facile à trouver avec un titre préféré, L'Espérance-macadam, de Gisèle Pineau. Souvent la critique de ce roman de 1995 (et jusqu'à la 4e de couverture de la version poche) dévoile une partie trop importante de l'intrigue. Comme pour L'Espérance macadam, L'heure hybride sera autre à la 2e et énième lecture.

Il faut pourtant donner une idée du sujet. En trois mots, Rico L'Hermite est fils de pute. Une sorte de Don Juan (mise en scène à la Roger Planchon si vous le voulez), les victimes de ses charmes comprennent de vieilles dames qu'il baise au propre comme au figuré. Bel homme, « mulâtre brun, un griffe ou un grimaud amélioré », il sait profiter, à l'instar de sa mère, de ses charmes et attributs physiques, sa « belle gueule » et ses « yeux couleur de miel ». Coureur de femmes, gigolo quand ça lui permet de vivre et quand ça l'amuse, c'est une bête à plaisir. « On vit sans honte sa misère » dit-il, comme sa mère, simple, digne et regrettée : « Je ne sais à quel critère évaluer sa moralité, mais si elle fut amorale, elle le fut avec distinction ». Comme elle, dit-il, et « Avec elle, le sexe et le plaisir habitaient mon quotidien au même titre que le vent, le soleil ou la mer ».

Rico est un personnage hors temps, hors contexte : son histoire est universelle même si elle se déroule sous une dictature et dans une misère qui sont précisées (un journaliste tombé par ci, une première dame par là qui donne un show de générosité vide de sens lors d'un passage à un orphelinat) : une « corruption qui mène le pays [et] fait la loi ». « Ici on ne parle pas. On n'enquête pas sur la misère. On ne dénonce pas », on ne soulève pas de vagues...

Le lecteur apprend à aimer Rico dont la mère le préférait « intelligent et fainéant qu'actif et bête » ; il est beau, charmeur et surtout seul. Il aime s'amuser chez son ami Patrice où l'on oublie ses misères dans les fêtes de beau monde et de racaille, douce et dure. On y retrouve également (et dans un néologisme de Kettly Mars) « la gigolaille » dont il fait partie.

Sauvage et solitaire, Rico L'Hermite est un beau fruit étrange. Roman d'une « douce angoisse » et d'une « violente tendresse » (je ne fais que citer quelques fragments), j'espère en avoir dit assez pour inspirer une lecture...

Kettly Mars, L'Heure hybride, roman paru aux éditions Vents d'ailleurs.

TCS

Le Pull ô Vert de Dany

29 janvier 2006

L'autre jour Dany a oublié son pull chez moi. Si pour Freud, il ne peut y avoir d'acte gratuit, quels vers trouverez-vous à tirer du nez dans une histoire qui débute avec un pullover laissé à Quisqueya Heights ? Il doit y avoir une histoire de Manhattan blues là-dedans, puisque franchement je ne vois rien de moins particulier dans un Calvados hors-âge ou un repas délicieux (ce n'est pas moi qui ai cuisiné) qui aurait prétexté un oubli aussi banal.

Je reviens à NY depuis l'été austral, où je ne pouvais m'empêcher de penser à Dany avec des manguiers prêts à faire tomber leurs fruits. Depuis l'île de la Réunion, un « plop ! » potentiel me faisait penser à Dany. Depuis que j'ai entendu cette mangue au début de Pays sans chapeau, les mangues qui tombent me font penser à lui : « Je veux perdre la tête. Redevenir un gosse de quatre ans. Tiens, un oiseau traverse mon champ de vision. J'écris : oiseau. Une mangue tombe. J'écris : mangue. Les enfants jouent au ballon dans la rue parmi les voitures. J'écris : enfants, ballon, voitures. On dirait un peintre primitif. Voilà, c'est ça, j'ai trouvé. Je suis un écrivain primitif ». Une mangue, un pullover me font penser à cet écrivain primitif, inspiration de ce nouveau film sur tous les écrans, Vers le sud.

Gosse de 4 ans, à Montréal estival, le voici avec un ruban (j'écris : ruban [et je pense à Jean-Jacques]), qui était blanc mais il est devenu vert par un coup de pinceau virtuel de Béatrice, qui a sans doute coupé le ruban du gamin...

Vert puisqu'il s'agit de ce pull-o-Vers le Sud, vers le soleil quand il fait moins 30° en cette saison à Montréal, d'où l'importance de ne pas oublier son pull. Dans la photo prise au début d'été dernier, un magasin affichait déjà le « Vert ».

Dany vient de sortir un nouveau roman, du même titre que le film, Vers le sud. Du site des éditions Grasset (premier chapitre disponible en ligne), on lit le suivant :

Dany Laferrière est né à Port-au-Prince en 1953. Devenu critique littéraire, il quitte Haïti quand, en juin 1976, un journaliste influent est assassiné par les "tontons macoutes", marquant le début de la dérive ubuesque de la tyrannie des Duvalier. Etabli à Miami, c'est là qu'il a écrit dix romans qui, de son point de vue, forment un seul livre : son "autobiographie américaine". On se rappelle l'un des plus connus, Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer (Le Serpent à plumes). Dany Laferrière a rejoint Grasset en 2005 avec Le Goût des jeunes filles. Il vit à Montréal.
Vers le Sud est un recueil d'histoires entrelacées qui forment un roman. Plusieurs personnages reviennent, comme Fanfan, double de l'auteur adolescent, qu'on avait déjà croisé dans Le Goût des jeunes filles. Mais ce qui crée l'unité profonde du livre, c'est le thème. Dans toutes les histoires, on retrouve un attrait vers le Sud, c'est-à-dire Haïti et ses corps noirs. Attrait souvent inexprimé, et d'autant plus fort. Le propriétaire d'un café de Brooklyn s'établit à Port-au-Prince et y embauche des gigolos pour séduire sa clientèle féminine. Une Américaine loue une maison bleue qui ressemble à une peinture naïve où elle va faire de troublantes découvertes. La fille d'un maître séduit un esclave.

Un roman sensuel, troublant, sur l'attirance des chairs.

Alors allez comprendre, c'est le même Dany de Je suis fatigué, qui a juré d'en avoir fini avec la littérature. Grasset lui colle la mention roman sur la couverture, et le voilà doublement marchandise, allez messieu-dames, prenez un exemplaire du roman après votre séance au cinéma ! Dany, as-tu pris un brevet sur des poupées Vers le sud ? Il y a du potentiel.

Dany était l'invité du jour le 12 janvier 2006 aux Matins de France-Culture :

"Pour empêcher un Haïtien de rêver, il faut l'abattre." L'auteur de ces mots, Dany Laferrière, est lui-même haïtien; il vit à Montréal et vient à Paris pour la sortie ... de son nouveau roman, Vers le sud.

La version audio de l'émission est disponible en ligne (les archives sont maintenant disponibles ; France-Cul fait du progrès !).

À la chronique quotidienne désespérante d'Haïti, où les élections générales viennent d'être reportées pour la quatrième fois, Dany Laferrière préfère la chronique résistante d'une littérature non pas tournée vers le désespoir, mais vers le désir, "vrai moteur de l'histoire". Esprit indépendant et subversif, Dany Laferrière a écrit un livre sur les relations complexes entre des femmes blanches, américaines, riches, âgées et des hommes noirs, haïtiens, pauvres et jeunes.
Tourisme sexuel ou tourisme amoureux ? Le débat est ouvert.
Un film de Laurent Cantet adapté de son oeuvre sortira sur les écrans le 25 janvier.


Réalisé par Laurent Cantet, Vers le sud (2005), sort ces jours-ci à Paris et à Montréal. Le scénario est basé sur trois nouvelles de La chair du maître de Dany Laferrière... n'ayant pas encore vu le film ni lu le roman qui l'accompagne, je m'amuse à lire la critique diverse.

Dans le résumé chez Yahoo.com, on lit ceci :

Heading South (Vers le sud) (2005)

On the sun drenched island of Haiti in the '70s, foreigners idle away their vacations in the palm-fringed paradise of the beach hotels. Brenda, Ellen and Sue, three North American women, converge on the island looking for flirtation, relaxation and respite from their colorless jobs and marriages. They find what they are looking for in Legba an enigmatic local adonis whose beauty and passion has them enthralled. It is this passion that will lead them away from the guilded cage of tourism and will open their eyes to the poverty stricken and dangerous world of Haiti at the end of "Baby Doc" Duvalier's notoriously violent regime.

Il y a un compte-rendu par Martin Tsai qui vaut une lecture ; (en anglais) : Review by Martin Tsai, in Cinema Scope (issue 25) [extrait] :
[...] “At home black guys don’t interest me. It’s different here because they are closer to nature,” says Ellen (Charlotte Rampling), an acid-tongued 55-year-old Wellesley professor who has made annual trips there for six years. She takes up with the stunning and charismatic Legba (Ménothy Cesar), and chastises another tourist for dressing him like “black guys in Harlem.” Little does Ellen know that beneath the façade of an innocent island youth, Legba leads a dangerous life that embodies the worst stereotypes she has projected onto African Americans. Given her background and stature, her decidedly un-P.C. assertions regarding the locals threaten to take viewers aback. Most films in the West that involve foreignism simply gloss over this colonialist mindset and unwittingly perpetuate it.
Haitian hustlers here are eager to subject themselves to the tourists’ patronage in exchange for free meals, gifts and cash. Their dependency is reminiscent of third-world women practically throwing themselves at GIs in Vietnam/Korean war flicks. Those women’s American dreams reaffirm notions of Western superiority. Since men typically assume the roles of providers to whom women naturally cling both on and off screen, the scenario’s gender reversal in Vers le sud underscores racial and class disparity. Another sharp contrast is the fact that Legba shows no inclination for pursuing life, liberty, and happiness in the States. [...]

In instances involving third-world deprivations such as the one here, there is always some subconscious colonialism on the part of the first-world protagonists in presumptuously appointing themselves saviours.

Comment peut-on penser que le dernier film soit moins controversé que tout ce qui a fait la carrière de Dany, depuis le premier roman, titre avec lequel on ne manque pas de le présenter.

Le mauvais film du premier roman, sorti en 1989, ne manquait pas de piment (comme son affiche) pour nos essais de Cultural Studies, n'est-ce pas. Depuis le début de sa carrière, du moins cette renommée a-t-elle permis à Dany de parler avec franchise, sans fioritures. Le dernier film promet des discussions aussi franches sur des sujets qui ne sont pas politiquement correctes : Haïti, par exemple, ou le tourisme sexuel de petites dames blanches autrement comme-il-faut...

Vers le sud, petit S pour ne pas confondre avec le Sud américain, d'un auteur pourtant si américain. La sortie simultanée du film et du « roman » me permet à vous inviter à découvrir Dany Laferrière, par la présentation sur « île en île », où vous pouvez même l'écouter lire des passages de La Chair du maître... (lecture faite en Guadeloupe, avec un bruit de fond des gamins qui jouent avec un ballon). Dany vient de sortir un recueil de ses chroniques des années 1980, Les années 80 dans ma vieille Ford, chez Mémoire d'encrier à Montréal, titre qui convient à cet écrivain si américain.

Deux nouveaux titres pour un auteur qui n'écrit plus. Quelle productivité ! Y aurait-il un « nègre » qui travaillait pour Dany Laferrière ?

L'année 2006 s'annonce plutôt verte pour Dany, Vers le Sud, vers la verdure. Un pulloVer pour ne pas avoir froid à Montréal et des billets verts pour entretenir un manguier à Petit-Goâve. Une bonne entrée dans l'année du chien qui marque, comme Dany Laferrière, cette fin janvier.

TCS

Le trémolo des cailleraderies (bis, ou blogue)

2 décembre 2005

Alors ça se calme en France ? On revient à une petite cinquantaine de bagnoles brûlées par nuit, moins que pour la Saint-Sylvestre, m'enfin, ce n'est pas tous les jours d'année la rage ou la fête. M'enfin, il paraît que c'est un sport particulièrement apprécié dans ce pays, brûler des voitures, même en temps « normale ». Une amie parisienne me raconte des histoires de bourges qui se font flamber leur bagnole pour toucher aux assurances, l'État va indemniser les compagnies d'assurances et tout le monde est quitte pour son argent. Ce n'est pas pareille pour l'amie en banlieue nord, qui n'a plus sa vieille caisse torchée dont elle avait besoin pour y travailler, mais elle a dû payer à la mairie pour faire remorquer la carcasse.

Côté plus poétique, j'ai trouvé sympathique le hasard qui m'apprend que Leslie Kaplan a affiché dans son blog, le 15 novembre dernier, texte « La Violence, c'est quoi ? » avec une série de textes-réactions dans son blog en résidance aux [Lilas]. Autre texte de Leslie K. du 2 novembre dernier, signé par d'autres écrivains associés à des bibliothèques en Seine-Saint-Denis avec des projets d’écriture et de lecture : « Clichy-sous-Bois nous-mêmes ». Langage de haine, c'est le vôtre, Monsieur le Ministre. Merci Leslie.

Sur le site d'inventaire-invention, vous pouvez trouver Leslie Kaplan aux [Lilas], si vous arrivez à vous faire au design du site web qui, frankly, is not my cup of tea.

Le blogue d'Alain Mabanckou semble bien fréquenté, si l'on en juge par les commentaires du texte d'Achille Mbembe mis en ligne le 16 novembre.

Vive le CRAN ! Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN). Fondé le 26 novembre 2005 comme réponse institutionnelle à l'ensemble des "défis" auxquels doit faire face la plus "visible" de toutes les minorités dites "visibles", par de nombreuses personnalités, dont : son nouveau président, Patrick Lozès, président de l'association CAPDIV (Cercle d'Action pour la Promotion de la Diversité en France ), Manu Dibango, le Roi du Makossa, Basile Boli, l'ex-footballeur professionnel, Louis-Georges Tin, universitaire et président de l'association "An nou allé" (Association des Martiniquais/es lesbiennes, gais, bi & trans.), M. Fodé Sylla, membre du Conseil économique et social, Eugénie Diecky, journaliste-vedette à Africa n° 1, Stéphane Pocrain, ex porte-parole des "Verts".

Presse :
http://www.timesonline.co.uk/article/0,,13509-1894135,00.html
http://www.sangonet.com/actu-snews/aiaf/ai2/CRAN-26nov05-PL.html
ou, en archives dans Le Monde, "Des associations noires créent une fédération" (26.11.05).

TCS

Le trémolo des cailleraderies

15 novembre 2005

D'ici peu, je reviendrai dans ce blog à un autre sujet qui me préoccupe ce jours-ci : le copyright et les droits d'auteur. J'aiguise mes flèches (enfin, les armes de mon nom de famille) pour pouvoir donner des exemples de plagiat qui me révoltent... (à suivre).

En attendant, une note pour ajouter au trémolo des réactions sur la météo de ce que j'appelerais les cailleraderies à la Sarkozy et la République toujours en mal d'assimilation...

Dans son article pour les « Rebonds » de Libé du 10 novembre dernier (« Défauts d'intégration »), Esther Benbassa écrit ceci :

« Aux Etats-Unis, pays dont nous critiquons le multiculturalisme, la communauté d' "originaires" inclut l'étranger et le prépare progressivement à l'américanisation. Ici, curieusement, le mot "communautarisme" n'existe pas et pourtant les communautés, elles, existent. Dans ce pays, on se dira américain et musulman, américain et noir. Ce "et" essentiel à la citoyenneté est officiellement banni chez nous, alors qu'il est désormais incontournable et que les pouvoirs publics auraient intérêt à le prendre en compte. »

Son article m'a fait penser aux réflexions plus approfondies de la regrettée Naomi Schor qui, dans un essai qui mérite re-lecture, « The Crisis of French Universalism » (Yale French Studies 100 (2001): 43-64, disponible dans les bibliothèques ou via J-Stor), on peut lire :

« One thing is certain: the pressure to assimilate in France is such that identity politics cannot thrive there; there is a logical and insuperable incompatibility between promoting assimilation and encouraging identitarian micro-communities based on gender, race, and sexual orientation, what we in the United States have taken to lumping under the term multiculturalism. Viewed from the French perspective, multiculturalism is nothing short of a cultural disaster, threatening the polity with fragmentation, and the nation with dissolution. »


Vus de la France (comme du Japon et ailleurs), les États-Unis seraient un pays de barbares mal-assimilés, trop métissés, des populations fragmentées, « communautaires ». C'est justement ce multiculturalisme qui manque dans les discours actuels des politiciens français.

Benbassa dit qu'en France, « quand on nomme un ministre "issu de l'immigration", il est là, en gros, pour s'occuper des siens... ». Ça m'a fait penser à la photo parue à la page 3 du Monde du 8 novembre : Dominique de Villepin avec la main sur la tête d'Azouz Begag comme pour maîtriser le « Beur alibi », qui avait osé dire au Ministre de l'Intérieur de mieux choisir ses mots... Déchiré entre ses fonctions auprès du gouvernement actuel et le besoin de dire que l'on n'a pas le droit de traiter les citoyens de la République de racaille, Begag ne se fait pas entendre en demandant à ce que la France « assume sa diversité ». Effectivement, ça doit être difficile à assumer des fonctions de ministre délégué « de la promotion de l'égalité des chances » (ministre bidon, c'est-à-dire sans administration ou budget, à un poste « politiquement correct » dans le pays où le président s'affirme, le 14 novembre, contre la « discrimination positive »).

Curieusement, le dernier voyage de Begag aux États-Unis nous rappelle que ce n'est pas forcément plus facile pour lui de se faire entendre au pays de l'Oncle Sam. Il voyageait vers la Floride pour une invitation comme conférencier, de façon aussi banale que lors d'autres invitations (comme il l'a fait chez nous à CUNY en 1998) quand il s'est fait arrêter par un agent des douanes à Atlanta le 13 octobre dernier, pour un « délit de faciès »... Voir, à ce sujet, l'article de Malek Chebel, « L'autre n'a pas de visage » paru dans La culture française vue d'ici et d'ailleurs, le recueil d'essais que j'ai dirigé (publié en 2002 et toujours disponible chez Karthala). Ce n'est pas pour rien que j'ai rassemblé ce recueil de voix où des exilés de la France et des immigrants en France racontent leur amour-haine pour un pays (et une culture) où leurs identités multiples n'ont pas de place.

Il nous reste des choses à apprendre de nos sociétés encore si différentes : Benbassa a raison de souligner les identités étatsuniennes multiples. Si en France on est arabe « ou » français, aux E-U, on est facilement African-American, Judeo-American, Irish-American et cetera... Dans ma note précédente sur la « Diversité culturelle », je renvoie aux organisations telles CAPDIV qui parlent autrement que les Sarkozy qui, ceux-ci, préfèrent traiter tous ces jeunes d' « étrangers ». Avec d'autres, Benbassa nous prépare les « Pari(s) de vivre ensemble » en mars prochain, leur pari étant de « [mettre] en valeur la diversité culturelle de la capitale, de [promouvoir le] dialogue entre populations d'origines diverses et de [lutter] contre toutes les formes de discrimination ». Du pain sur la planche.

Samedi dernier, j'ai pu assister brièvement à une partie de la conférence « Laïcité / Secularism, 1905/2005 » à l'université Columbia ici à New York. L'anniversaire de la loi de 1905 était l'occasion pour une interrogation approfondie sur la place des cultes dans une société dite laïque (une question du public : combien de journées fériées dans les écoles en France pour des fêtes juives ou musulmanes, par rapport aux fêtes chrétiennes ?). Y a-t-il une menace réelle à la Marianne catho ? Que l'on donne moins de place dans les médias actuelles aux réponses des Le Pen et de Villiers... Par réactionnaire, on implique un retour au passé, contre le progrès social : on n'a qu'à donner plutôt un meilleur portrait de la France multiculturelle : que l'on créolise la Marianne pour mieux représenter le pays dont elle est supposée être le symbole.

Explorez les chats en ligne, les forums très populaires genre Skyrock.com où trois auteurs de blogs ont été arrêtés la semaine dernière. Âgés entre 14 et 18 ans, ces trois garçons auraient cliqué OK ou ENTER pour balancer des paroles genre « Nike la France », « Nique l'État », « Sarkodead » et « Hardcore » (n'ayant pas vu le casier judiciaire, je n'ai vu offertes pourtant que des « preuves » aussi banalement adolescentes. Voir l'article « Trois bloggeurs arrêtés » dans le numéro de Libé du 8 novembre 2005). Je trouve effrayant le filtrage des blogs et des SMS à des fins policières. Où est la liberté d'expression ? Quelles en sont les limites ? (par exemple, sur le copyright, sujet sur lequel je promets de revenir). C'était par un commentaire au blog « Paris is (really) burning » que j'ai appris que l'on avait filmé des policiers en action en banlieue, avec quel portrait des forces de l'ordre !... Vive le pouvoir des caméscopes et des blogs ; vive la liberté de la parole !

Dans un article paru dans The Nation du 21 novembre (« All the King's Media »), William Greider fait une comparaison intéressante entre les médias du temps de George W. Bush et celles de l'époque de Louis XV. « La démocratie, dit-il, commence non pas au moment des élections, mais dans la conversation humaine ». Heureusement, nous ne sommes plus à l'époque de la censure des rois, mais les atteintes à la liberté d'expression sont de plus en plus fréquentes et, avec elles, nous avons une presse de plus en plus veule, commerciale et compromise. Ce n'est pas pour rien que l'on se tourne vers les forums on line et les blogs. Les actualités françaises font réfléchir les Étatsuniens sur les retombées du « Patriot Act », la législation passée en toute urgence il y a 4 ans, peu après le 11 septembre 2001, qui permet une surveillance secrète des appels téléphoniques, des achats de livres, des blogs et même les sites web visités ou des mots recherchés par Google...

Certes, que l'on arrête de brûler – des voitures, des écoles, des centres de sport... Quelle personne veut se dire contre une société civile et civilisée ? Ayant vu ce ministre de l'Intérieur français fat et ambitieux sur TV5 cette semaine, je comprends bien les frustrations des jeunes dont les revendications sont ignorées : les seules réponses étant policières, on voit bien qu'il y a une conversation qui reste à développer pour que la France s'accepte un jour comme une société multiculturelle, pour que l'on examine les discriminations réelles des personnes qui ne sont ni immigrées ni « issues de l'immigration » mais tout simplement françaises. Il faut appeler un chat un chat, parler du racisme dont la France n'a malheureusement pas de place unique sur notre planète.

TCS

des K enfouis

10 octobre 2005

Le passage de l'ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans et le Sud crée un deuil trop grand pour en parler. Et pourtant on ne fait qu'en parler. Ça fait plus d'un mois déjà.Avec de telles catastrophes, on a envie de se réveiller pour voir que ce n'était qu'un cauchemar : que l'on se lève, se penche par le balcon et tout se retrouve comme auparvant. La réalité en dit autre. Il nous reste à savoir ce que deviendra la région dévastée, ce que sera la nouvelle Nouvelle-Orléans.

On parle de tout : des chiens en bandes errantes, que l'on ramasse ou que l'on tue ; certains deviendront de véritables chiens créoles comme on en voit en Guadeloupe.

Pour écrire ce blog, je mets WWOZ, "New Orleans Jazz & Heritage Station." Plutôt WWOZ en exil ces jours-ci. Écoutez voir, en direct, 24/7. La musique continue.

Mais non pas la vie comme auparavant. Des milliers de vies bousculées.

Il y a des signes d'espoir, non moins étant les résistants, récalictrants qui ont pu rester et/ou n'ont pas voulu partir. Armés jusqu'aux dents, mieux préparés qu'aux résidents de Falloujda évacués de force ou tués... les fidèles de Marie Laveau se promèneront toujours, taggant d'autres X en craie rouge par ci, par là.

On reviendra prendre un café à la chicorée dans le seul endroit où l'on se permet de manger des donuts, puisque ça s'appelle « beignets » par là, n'est-ce pas. On y reviendra : pour la cuisine, pour la musique, pour le beau quartier dit français (peu endommagé d'ailleurs) et pour les quartiers plus durs, plus mal famés mais où la musique est aussi bonne et la cuisine souvent meilleure que dans la zone touristique.

Ouragan. Mot taïno désignant le dieu de l'orage. À la Nouvelle-Orléans on sait ce que c'est, la flotte. Les Antilles ne sont pas loin. Et pour une fois, on revient clairement sur le passé esclavagiste et ses séquelles.

Y a là-bas la boisson, Hurricane, que l'on distribue en take-out. Un ouragan, ça se boit : les piétons s'empiffrent de rhum et d'alcool. Le nom de la rue principale du French Quarter évoque plutôt un alcool particulier, le bourbon, petit b, sans jamais penser à une monarchie des French.

L'été s'est terminé et avec lui, d'autres deuils.

Max Dominique, par exemple. Voir « Le rire de Max... » par Rodney Saint-Eloi.

L'ouragan Katrina était passé en début du mois zodiaque des Vierges, signe de l'automne boréal. ¿ Qui sait pourquoi cette année j'ai tant pensé à une autre Katherine, Käte, en suivant les dégats de Katrina ? Je n'arrive pas à bien reproduire une photo de ma Katherine. En voici une approximation.

La photo est de Tridham Das. Prof de yoga de Robert Mapplethorpe à un moment donné, celui-ci l'avait pris en photo et lui avait légué une fascination et un oeil de photographe. Tridham est disparu de la circulation comme on dit, mais autrement que Katherine qui, elle, nous a quitté vraiment.

Vies à raconter, vies dispersées.

Katherine – née Käte Spiegl à Vienne en 1908, au 18 Berggasse, en face de chez les Freud – m'a raconté de ses aventures. Il y a une quinzaine d'années, j'ai enregistré de longues heures de conversations avec elle : les années 20 à Vienne, les colonies d'enfants faisant du camping dans un encadrement de la nouvelle Europe rouge. Ses voyages en Italie avec son copain, à vélo, en 1930 et 33. En 1934 elle obtient son doctorat en psychologie (spécialiste de l'éducation des enfants, Melanie Klein etc.), se marie, et cette année Dolfuss est assassiné pendant le voyage de Katherine de trois mois en France. Suivront d'autres voyages à Paris dans les années 30 par les liens de l'éducation et des jeunesses socialistes, l'exposition universelle en 37. Et puis l'Anschluss, le 12 mars 1938 où sa vie bousculera pour de bon, son mari politique pris, sa famille visée...

On s'est connu, Katherine et moi, dans un encadrement de langue française. Elle faisait son éducation à l'envers en quelque sorte : un doctorat qui ne valait rien pour une réfugiée-ennemie (l'Autriche étant un pays Nazi), juive en plus, mais elle a fini par se refaire une vie ici aux States, avec par la suite une maîtrise comme assistante sociale. À la retraite, Katherine faisait une licence en français pour s'amuser, et j'étais son professeur à l'époque où celle qui est née la même année qu'elle, Simone de Beauvoir, est morte.

Un jour il faudrait ressortir ces cassettes de voix. Réécouter en vif son récit de la Kristallnacht. Transcrire ces conversations, mettre de l'ordre à son récit de vie.

Un K perdu, un cas parmi d'autres.

J'irai voir le nouveau film Good Night, and Good Luck pour elle, fichée dans son pays d'accueil (celui de l'Oncle Sam) comme une dangereuse sympathisante de la gauche (fidèle de Pete Seeger, par exemple, en pleine Guerre froide).

...

Excusez le détour par des lettres francophones qui ne sont pas encore écrites. Dans le cas de Katherine, il s'agit d'un récit de vie. Pour vous, Katherine n'a rien à voir avec Katrina. Mais son anniversaire vient de passer avec la fin du mois de la Vierge, les feuilles vont tomber, et ces morts et ces vies déracinées, brisées donnent à réfléchir.

Quant à la Nouvelle-Orléans et l'aide sociale si défaillante dans ce pays, d'autres ont réagi autrement et bien plus clairement que notre gouvernement. En a pu entendre, par exemple, des Danny Glover, Harry Belafonte, les familles Marsalis et Neville... ils sont là, à vouloir que l'esprit de la ville « croissant » renaisse. Michael Moore aussi fait sur place son travail d'engagé pour aider les autres et pour nous réveiller tous.

Le roi est nu, the emperor has no clothes. Pour une fois on voit une faille dans la patine du cowboy en chef, habitué des beuveries de jeunesse texane dans la ville d'alcool et de putes, de flingues et de musique, des restes d'histoires des bâteaux-négriers, des amerindiens et des colons dans ce pays où les terres n'ont jamais vraiment été domptées, défrichées dans toute cette flotte du Delta et des bayous. Il fallait un Huey Long pour réunir toutes ces Parishes éloignées, redresser un peu les francophones isolés en leur donnant une langue de civilisés, n'est-ce pas. Lisez un peu Édouard Glissant ; son essai Faulkner, Mississippi, par exemple, vous décrit bien la dynamique du Sud. Glissant habitait la capitale louisianaise, Bâton Rouge, à l'époque où je l'ai rencontré la première fois. Je me demandais ce qu'il y faisait (comme moi, d'ailleurs). Faulkner, Missisippi en dit long, mais Bâton Rouge était pour lui un lieu favorable à l'écriture. Pendant les deux mois passés dans cette capitale sudiste, je préférais plutôt me tirer quand je le pouvais dans la « civilisation » de la Nouvelle-Orléans, à une bonne heure de route. C'est une ville qui passionne, où l'on aime retourner.

Je vous recommande quelques bons sites sur La Louisiane. Et, pour être plus littéraire sur la question de l'ouragan Katrina, je vous renvoie vers un poème de Jean-François Samlong, signé le 11 septembre dernier, « Christ Mississippi ».

Je termine avec des mélodies de la Nouvelle-Orléans, plus belles que des paroles, via WWOZ.

TCS

papillon (gelée cérémonieuse)

13 avril 2005

Je cite, de la pièce de Jean Genet, « Elle » :

Le Pape :
Quand un homme s'agenouille, il sait – ou il ne le sait pas, je m'en fous, – qu'il attache plus d'importance à son geste qu'à mon pied, et surtout qu'à l'homme à qui ce pied appartient. Ce qu'il veut, c'est se sentir pris dans une gelée cérémonieuse.

A-t-on survécu à cette gelée cérémonieuse, mondiale, de la semaine dernière ?

Sans doute on vous a envoyé quelques vers de Jacques Prévert (que l'on trouvait doublement appropriés avec la mort du prince Rainier) :

le pape est mort, un nouveau pape est appelé à régner
araignée, araignée quel drôle de nom pour un pape
pourquoi pas libellule ou papillon ?

Par courriel, j'ai reçu d'autres jeux de mots au sujet de ces actualités, dont celui-ci :

Le pape est pas apte mais pas à pas et Papa l'a appris le Pape a pâli et est parti...

Il n'y avait que quelques signes perçus, par ci par là, d'une humanité autrement concernée, comme témoignait un autocollant, perçu dans le métro à Paris, d'Alternative Libertaire...

Franchement, j'ai préféré sortir un volume de Jacques Rabemananjara, mort le même jour que le pape. Presque une décennie dans les taules de la IVe République et à peine une mention dans la presse française du chantre malgache, poète de la négritude, voix d'une nation voulant chanter sa liberté...

Qui donc, qui chantera ?

En berne, pas en berne... À Madagascar, d'accord, on peut baisser les drapeaux. Mais pas pour le Souverain Pontife dont l'état hiérarchique est planétaire, sans place pour les femmes, les personnes vivant une vie homosexuelle, les préservatifs... Champion médiatique, certes, digne des fastes théâtrales d'un Genet :

Le Pape :
Le suis-je ? Ou la splendeur dont on entoure le Souverain Pontife est dérisoire, ou bien pas de pompes assez travaillées. C'est l'univers tout entier... perles, rubis, soies, aciers, canons, gardes, musiques – mais quelles musiques ? Pas de valses ? Si, des valses aussi – défilés de jeunes pages, de danses, spectacles, parades, et l'univers s'ordonne autour de ma Tiare, pivot du monde visible, et chanter Hosannah ou toute autre parole étrange, hébraïque ou caraïbe. Et la terre tourne autour de ma tiare...

Je vous recommande la lecture de la pièce ; très rafraîchissante par les temps qui courent. «Elle», c'est le pape, qui « rit comme une tante », le cul en l'air – puisqu'on ne le voit jamais de dos. Jean Genet se serait bien marré de la gelée, disons pompe, cérémonieuse.

«Elle», pièce de Jean Genet de 1955, publiée de façon posthume à Paris chez Marc Barbezat / L'Arbalète (1989).

TCS

Les « Gates » s’en vont (New York, New York)

5 mars 2005





Vienne la nuit sonne l'heure
Les « Gates » s'en vont je demeure...











Ce serait exagéré que de dire qu'il s'agit d'un blog sur les lettres francophones, en parlant des Gates de Christo & Jeanne-Claude... mais quand même, Jeanne-Claude est née à Casa ; ils se sont rencontrés à Paris où ils vivaient en 1958...

Ils vivent à New York depuis longtemps, et ils se sont donné un cadeau, et à nous aussi.

Qu'ils soient remerciés de nous avoir donné cette belle cérémonie, des milliards de photographies, une grande fête populaire. C'était la grande balade pour ces milliers de personnes qui ne se seraient sinon jamais aventurées dehors en plein hiver pour se promener au Central Park. Le 13 février était un dimanche de fête ; qui aurait pu imaginer tant de gens avec un si grand froid ? Les marchands de pretzels – et de glace ! – faisant plus d'affaires qu'en plein été torride.

On s'en est saturés, s'est bien rincé l'oeil, le départ se fait en douceur et pas trop tôt.

Ça me fait penser aux visions des auteurs sur New York... Je me demande quelles en seront les évocations de ce février 2005 dans les fictions à venir ?

De New York littéraire, les francophones se souviennent souvent du portait de Céline, de Voyage au bout de la nuit :

New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.

Mais le parc n'est pas cet espace-là, l'espace hard des buildings. La nature de Central Park est à la fois apprivoisée et indomptable ; Christo et Jeanne-Claude ont bien souligné son côté à la fois sauvage et artificiel.



Voilà une des raisons pour laquelle on vit dans une telle ville : pour ces moments de création et de saturation, comme pour l'exposition Matthew Barney, au Guggenheim en 2003 où il fallait retourner, trop souvent... « Ce ne sera qu'une imagination pervertie qui nous sauvera » m'avait dit à l'époque un ami en sortant du musée après des heures passées, ébahis, par la beauté, le choc et l'originalité de Barney.

Aujourd'hui le 5 mars, au parc restent encore quelques derniers gates mais les photographies de Gregory Colbert, ashes and snow, nous interpellent, la ville vit déjà autre chose, quelque chose d'autre qui nous rappelle pourquoi on est là, entassés dans ce béton et dans les foules plutôt que dans les plaines des Dakota ou dans un des États dits rouges ces jours-ci, où l'imaginaire d'un Matthew Barney blesserait les sensibilités dites pieuses.







Les Gates de Christo et Jeanne-Claude étaient quelque chose de spécial. Le 12 février, c'était un cérémonial du déferlement : lente, progressive, sans immam, sans rabbin, sans prêtre ou politicien (sauf notre maire richissime, ami des Christo depuis belle lurette) : une fête royalement laïque et populaire. Et elle le resta pendant plus de quinze jours.







Même avant que les tissus ne flottent dans le vent, les cadres seuls soulignaient autrement les pistes de notre parc, donnant de nouvelles perspectives aux promenades habituelles. Pendant tout le mois de février on a pu découvrer des coins transformés, des points de vues nouveaux. Quelques endroits les plus connus, comme la place de la fontaine Bethesda, étaient curieusement peu mis en valeur. Quand je pense à ce que certains auteurs ont fait de ce lieu, je suis reconnaissant aux Christos de l'avoir laissé tranquille. Serge Doubrovsky, par exemple, dans son autofiction La vie l'instant, avait le culot de clore son texte ainsi, sur la place :

La piazza, silencieuse, chatouillée de lancinantes rumbas, étincelle dans les torrents de lumière. Je cherche ma femme des yeux, elle a disparu. Là-bas, contre un arbre, j'entends ses hoquets. Elle dégueule.

Christo et Jeanne-Claude, par contre, ont laissé la beauté de la place et de la fontaine, sans les avoir invahies de leurs gates. Comme pour « L'allée des poètes », quelques beaux endroits naturellement magnifiques du parc – et qu'un Doubrovsky colore autrement – étaient ainsi peu touchés par les couleurs christo. Heureusement. Dans d'autres parties du parc, la partie sud par exemple, il y avait même trop de ces bannières orangées, jusqu'à trois rangées de cette couleur envahissante, une foule de tissu artificiel pendue et flottant au-dessus de la foule de homo sapiens.









Voilà des Newyorkais qui adorent notre ville, Christo et Jeanne-Claude. Eux, nous... on a eu la chance de voir leur installation sous des lumières et une météo changeantes, variant entre une couleur de feuilles d'automne sous les arbres dénudés à une couleur vive des tropiques : ciel bleu éclatant, neige blanche, orange vif. Jeux de soleil, jeux de lumière, de vent et de contrastes.




À chaque artiste d'apprécier Central Park comme bon lui semble, n'est-ce pas. Me restent, des Gates, des impressions de nature et de ciel soulignés, ce qui me fait penser, regardant certaines de mes photos que je n'affiche pas ici, au bleu du ciel newyorkais mis en valeur par Leslie Kaplan. Son roman Le Pont de Brooklyn s'ouvre au parc, et ses personnages y retournent souvent, en plein été. Quelques passages :
Le temps est magnifique. Lumière ouverte, totale. Quand ils arrivent au parc, il y a déjà une foule importante, presque trop de gens... [...]

Clarté du parc. Le grand soleil du jour, les arbres. Le bonheur du ciel.

Murmures et couleurs. [...]

Il s'est allongé sur le dos en silence et il regarde le ciel. Grand ciel pur. Son mouvement lent. [...]

Le parc. Déjà la fin de l'après-midi. Plaisir de la fraîcheur après l'avenue.

Ce moment particulier de la journée, cette hésitation. [...]

Le parc s'étend comme un grand lac naturel, touffu et vert. Au loin les immeubles le bordent, transparents et métalliques. La civilisation.

Une rumeur, dans le parc. Bourdonnement, épaisseur. Pas de bruits précis, un fond.

Empruntant le titre de la pièce de Duras, on a passé « des journées entières sous les arbres », mais là, c'était plutôt sous les gates, un moment inoubliablement sympathique, unique et éphémère... Sans doute cet orange, cette couleur tangerine – c'était une couleur saffron nous disaient les artistes – restera imprégné dans les imaginations newyorkaises pendant de longues années à venir.

TCS



leçon de French - bananes carnavaillantes

12 février 2005

Une complicité comme amateurs de saturnales avec l'écrivaine Suzanne Dracius m'a inspiré à faire un cours de langue cette semaine, French 102 (deuxième semestre), fin de carnaval oblige.

D'abord, un mot sur ma correspondante. Si cette semaine on a vu la Condoleezza devant les tribunes de mecsmecsmecs (blancs) à Sciences Po ô ô à Paris*, de Fort-de-France c'est plutôt une Calazaza, Suzanne Dracius, qui m'écrit au même moment. Non moins intelligente, les armes de la Dracius sont moins meurtrières que celles de la Condi d'après qui on a baptisé un pétrolier. Dracius et Spear, 1995 Une conversation entendu dans un taxi à Casablanca avec l'écrivaine foyalaise et le sexologue Malek Chebel me confirme que la Calazaza serait plus portée par l'idée de faire construire des fontaines de jouissance (jusqu'à en faire sourire un macho de chauffeur marocain). Enfin, lisez la présentation de Suzanne Dracius sur le site « île en île », où vous pouvez l'entendre lire « De sueur, de sucre et de sang » et où vous verrez la liste de ses dernières publications. À titre informatif, un secret derrière un dossier... le jules arraché d'à côté d'elle de la photo-portrait du site n'est autre que Valmont.... er, mézig ! Je vous colle une photo de deux esprits libertins aussi souriants il y a 10 ans qu'aujourd'hui.

* ceci dit, pour quelqu'un qui ne peux pas saquer la Condi, je trouve quand même curieux qu'une femme traitée de « Dr. Rice » aux E-U, plutôt normale pour quelqu'un de sa stature (doctorat etc.), en France de langue plus sexiste, elle devient tout simplement « Madame Rice ».

La semaine du Mardi Gras était propice pour parler des villes comme Jacmel, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France. Au sujet de la dernière, le site de la mairie www.fortdefrance.fr foirait... foyalement cette semaine -- j'étais convaincu que des djinns du Carnaval y étaient entrés. Une amie cinéaste guadeloupéenne cherchait d'urgence qualqu'un à livrer un colis en Martinique, et des bureaux étant fermés pour le Carnaval, allait payer un billet aller-retour NY-Fort-de-France. Un mot envoyé à Suzenne sur de tels sujets, et j'avais de quoi fournir une leçon de grammaire française.

Ci-dessous = mon petit divertissement post-mardi gras : ma leçon de French 102, mercredi dernier, mercredi « seins ». C'était un peu dur, 2 subjonctifs tout de suite, mais il y avait de bons mots comme carnavaillant(e)**, un vidé et le rhum (que je tenais à rajouter au texte)...

** ceci dit (bis), les blogs du Monde n'étant pas répertoriés par des moteurs de recherche -- tout est ici secret, Fay ce que vouldras ! n'est-ce pas -- j'attribue quand même publiquement la paternité... disons la maternité... de l'adjectif carnavaillant(e) à Mme Dracius ...

à titre informatif et pour connaître mon public : pour leur quiz de l'autre jour, j'ai donné aux étudiants la question « où est-elle née, votre mère ». Des 16 réponses, il y avait 4 fois États-Unis (2x NY, 1xBrooklyn, 1x EU), 2 x République dominicaine, 2 x Haïti et une fois chaque pour Brésil, Burundi, Cambodge, Cameroun, Ghana, Mexique, Philippines et Zimbabwe = en voilà pour le Bronx post-carnaval de 2005...

Voilà. Ci-dessous donc = la leçon French 102.

on se divertit comme on le peut. À suivre, nos merveilleux Gates -- et pour une fois ce n'est pas Bill G. ! -- de Christo et Jeanne-Claude, vous avez raison d'être jaloux de nous à New York ces jours-ci !

TCS

P.S. SD me dit que sur RFO télé cette semaine elle a entendu dire que les écrivains antillais ne sont pas suffisamment inspirés par le Carnaval. Évidemment, dit-elle, ils n'ont pas lu mon article sur les « Jouissances carnavalesques » paru il y a 10 ans dans le recueil Penser la créolité (Karthala 1995). Et vous, connaissez-vous une littérature antillaise ou haïtienne sans carnaval ?! ...




-------- Original Message --------
Subject: Re: carnavalesque ?
Date: Tue, 08 Feb 2005 01:02:28 +0100
From: Suzanne Dracius
To: Thomas Spear

le 7/02/05 21:07, Thomas C. Spear a écrit :

> le carnaval bat son plein ?

Oui, je suis encore "carnavaillante", bien que j'aie dégueulé, à cause du
plus mauvais champagne qui ait jamais été servi, chez X, samedi, dans
la soirée la plus huppée de la mulâtraille. Un comble. Ça m'apprendra.

Demain je vais chez les pauvres pêcheurs.

>> http://www.fortdefrance.fr
>> ION - Intruders Of Network

> t'as la même chose ?

Exactement, au mot près. C'est franchement carnavalesque; je me suis
déconnectée vite fait, parce que ça déconne à mort, ton site à la noix de
coco! Qu'est-ce que ça signifie? "Va te faire foutre" etc?> une copine désespérée

Suicidaire ou quoi? Un accompagnement sanitaire?
Si je comprends bien, j'ai failli te voir débarquer? Pourquoi pas?
Bon, demain je te dédie un vidé.

[...]

Bo fè-a! Bo fè-a! Nou pété lonba Vaval! Et pour cause. Cette année, le
bwa-bwa Vaval est une banane portant chapeau!! Donc, au menu, banane naine
ou banane jaune, et mercredi, banane flambée!

Biz